Soue, sang, sueur – Règne animal – Livre Inter 2017

4e de couv’

Règne animal retrace, du début à la fin du vingtième siècle, l’histoire d’une exploitation familiale vouée à devenir un élevage porcin. Dans cet environnement dominé par l’omniprésence des animaux, cinq générations traversent le cataclysme d’une guerre, les désastres économiques et le surgissement de la violence industrielle, reflet d’une violence ancestrale. Seuls territoires d’enchantement, l’enfance – celle d’Éléonore, la matriarche, celle de Jérôme, le dernier de la lignée – et l’incorruptible liberté des bêtes parviendront-elles à former un rempart contre la folie des hommes?
Règne animal est un grand roman sur la dérive d’une humanité acharnée à dominer la nature, et qui dans ce combat sans pitié révèle toute sa sauvagerie – et toute sa misère.

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Sélection du Prix Inter 2017; Premier Prix de l’île de Ré 2016;  Prix des libraires de Nancy – Le Point 2016;  Prix Femina 2016: deuxième sélection, Goncourt 2016 – deuxième sélection… beau « palmarès »….

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Finalement, c’est surtout la dernière phrase de la présentation de l’Éditeur qui continue a résonner en moi, une fois fermé le livre d’une magnifique écriture charnelle, glauque et crue (provoquant des petits hauts-le-cœur et surtout, surtout une envie de soleil, de lumière, de joie). Tout le résumé du début est du marketing pour moi….

Je viens donc de lire une histoire de famille (5 générations) très Zola-esque qui débute en 1898 (passe par la 1ère guerre mondiale) et se termine après un très très grand saut en 1981 (un peu déroutant ce « téléportage » – j’avais un peu de mal à renouer les fils entre les divers représentants générationnels – tandis que dans la 1ère partie tout semblait assez « linéaire »!

« Tous portent sur eux, en eux, depuis les jumeaux jusqu’à l’aïeule, cette puanteur semblable à celle d’une vomissure, qu’ils ne sentent plus puisqu’elle est désormais la leur, nichée dans leurs vêtements, leur sinus, leurs cheveux, imprégnant même leur peau et leur chairs revêches. Ils ont acquis, au fil des générations, cette capacité de produire et d’exsuder l’odeur des porcs, de puer naturellement le porc. » (p. 181)

Mais c’est aussi une histoire de porcs, verrats, truies, enfants muets – dans la soue, le sang, la sueur – et de personnages souvent taiseusement monolithiques aux traits parfois un peu trop forcés. Je dois avouer que j’ai eu un peu de mal pendant les 1ères 30 pages – le langage touffue, riche, plein d’adjectifs (je dis ça, mais en même temps : en couper, les réduire aurait un effet déséquilibrant) qui nous (les lecteurs) permettent de « toucher » cet univers, de le sentir (ça pue pas mal) ou de l’entendre (qu’est-ce que ça couine, hurle, crie…)….

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Vous le sentez, n’est-ce pas ? Ce n’est pas un roman lambda. Ce qu’il écrit JB del Amo est/sera difficilement à vendre aux inconditionnels de M. Musso ou aux fans d’histoires « propres » et ou gentillets (sans viscères, sans gueules-cassées, avec des sentiments – un peu de tendresse dans ce monde de brutes) …. Mais ce qu’il promet c’est un voyage dans les souffrances (ahh le retour de Marcel de la guerre !), ou les récits autour de la Bête (un verrat immense qui déclenche la folie)…. mais est-ce qu’on en veut de « ça » dans la vie qu’on mène ?

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« Ils savent qu’il faudra tuer, ils savent, c’est un fait acquis, une certitude, une vérité, la raison même, il faut tuer à la guerre, sinon quoi d’autre ? Ils ont enfoncé des lames dans le cou des porcs et dans l’orbite des lapins. Ils ont tiré la biche, le sanglier. Ils ont noyé les chiots et égorgé le mouton. Ils ont piégé le renard, empoisonné les rats, ils ont décapité l’oie, le canard, la poule. Ils ont vu tuer depuis leur naissance. Ils ont regardé les pères et les mères ôter la vie aux bêtes. Ils ont appris les gestes, ils les ont reproduits. Ils ont tué à leur tour le lièvre, le coq, la vache, le goret, le pigeon. Ils ont fait couler le sang, l’ont parfois bu. Ils en connaissent l’odeur et le goût. Mais un Boche ? Comment ça se tue un Boche ? Et est-ce que ça ne fera pas d’eux des assassins bien que ce soit la guerre ? » (p. 102)

La porcherie comme métaphore :  « La porcherie comme berceau de leur barbarie et de celle du monde ». (p. 243)

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« Ils ont modelé les porcs selon leur bon vouloir, ils ont usiné des bêtes débiles, à la croissance extraordinaire, aux carcasses monstrueuses, ne produisant presque plus de graisse mais du muscle. Ils ont fabriqué des êtres énormes et fragiles à la fois, et qui n’ont même pas de vie sinon les cent quatre-vingt-deux jours passés à végéter dans la pénombre de la porcherie, un cœur et des poumons dans le seul but de battre et d’oxygéner leur sang afin de produire toujours plus de viande maigre propre à la consommation. » (p. 241) 

C’est donc du lourd. Toutefois, je vais certainement, un jour, lire un autre roman de del Amo, même si j’ai besoin d’un peu d’oxygène maintenant……!

Pour clore – c’est avec « 14 Juillet » certainement le roman le mieux écrit de la sélection du Livre Inter de cette année, mais est-ce qu’on a envie de le défendre, de lui souhaiter une foultitude de lecteurs ? … Il faut quand-même être un peu « maso » paré avec un amour inconditionnel pour une langue d’une richesse inouïe  (pour faire l’impasse sur la lourdeur du drame shakespearien – genre « Lear »-porcin dans le Gers).

Le Nouvel Obs le résume parfaitement  – l’article vaut son pesant de cacahuètes :

Dans “Règne animal”, l’auteur d’“Une éducation libertine” raconte l’histoire d’une famille qui élève des porcs. C’est le livre le plus crade de la saison. 

Un roman cochon, ça mérite l’attention, surtout quand il est écrit par l’auteur d’«Une éducation libertine» et de «Pornographia». «Règne animal» raconte l’histoire, de 1898 à 1981, d’une famille de paysans du Gers qui se lance dans l’élevage porcin.

Les citadins sont invités à chausser des bottes pour s’y aventurer. C’est le livre le plus crade de la saison. Il déborde d’une «boue noire, grasse et fertile, où grouillent les vers annelés et les insectes coprophages». On renifle partout des «miasmes putrides» vaguement transcendés par «l’odeur du Cresyl et celle du purin». On extrait d’un puits la «charogne» d’une femme. On en voit une autre s’accroupir sur un crucifix pour «lâcher de longs traits d’urine sur le visage du Christ». On contemple, quand le corps paternel repose sous un linceul, «le magma fécal de son abdomen».

Et comme les fermes sont décidément des endroits dégueulasses, forcément dégueulasses, on se couche le soir venu sous «un édredon crasseux» parfaitement assorti avec «la housse de lit et l’alaise poisseuses». Moralité : les humains sont des porcs comme les autres. Zola, à côté, c’est «la Petite Maison dans la prairie».

Jean-Baptiste Del Amo est probablement un virtuose du pissat, un grand peintre des matières organiques qui excelle à dire comment «châtrer une truie destinée à l’engraissage» ou comment «les hommes mènent contre la merde un combat chaque jour renouvelé». Il est même si doué pour ça qu’il le fait sur plus de 400 pages, comme emporté par son talent, dans un mélange de naturalisme et de préciosité à la fois stupéfiant et un peu écœurant.

Bien sûr, cela laisse tout le loisir nécessaire pour méditer sur la condition humaine, sur ce qu’elle fait subir à la condition animale et sur la manière dont la nature contre-attaque quand on ne pense plus qu’à «gagner sans cesse en productivité». C’est tout de même très démonstratif, pour ne pas démontrer grand-chose de bien nouveau sur la question.

C’est dommage car le sujet, terriblement actuel, est incontestablement passionnant. Seulement, l’acharnement avec lequel Del Amo tient à nous présenter, pour les besoins d’une symbolique grosse comme un verrat de compétition, des paysans forcément bestiaux, taiseux, consanguins, alcooliques et tentés par l’infanticide tel qu’on l’observe chez les truies, l’est un peu moins.

Grégoire Leménager

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4 commentaires pour Soue, sang, sueur – Règne animal – Livre Inter 2017

  1. Bon, ben,…j’ai détesté une éducation libertine, entre autres multiples raisons à cause des adjectifs non seulement pléthoriques mais se voulant utilisés comme métaphores étaient juste ridiculement inappropriés.J’avais ressenti ce livre comme un mix prétentieux de Sade et de Süskind, etc etc : j’avais détesté. Et je lis dans l’article de Leménager que c’est la même chose côté adjectifs ici, sans parler. Je n’entretiens pas un amour ni une détestation du monde paysan, je pense que la vie vaut quand même mieux que ces jugements à l’emporte-pièce ( c’est souvent ce même paysan dégueulasse qui lui fait pousser ses salades, à Del Amo, va savoir s’il ne se soulage pas dessus…) Quant à la comparaison porcine, une fois de plus, l’animal sale, puant …sans doute pour satisfaire sa gerbe adjectivale…on ne peut pas lui enlever ça, son lexique est riche riche riche ! Ben non, je n’ai plus lu Del Amo depuis ma colère sur l’éducation libertine, et ce ne sont pas les couinements des porcs selon lui qui m’y feront retourner : !

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    • lorenztradfin dit :

      Eh ben, tu me rends curieux avec ce long commentaire … c’est vrai qu’on a l’impression qu’aucun adjectif est utilisé 2 fois dans le livre (faux bien sur) qu’on l’entend se réjouir de ses phrases…. et c’est justement pour contrecarrer pour mon ébahissement devant tant de verve verbeux que j’étais content d’avoir lu (et inséré ) la critique de Leménager, critique qui mets des mots sur ce que j’ai parfois ressenti aussi. Je ne suis par contre pas certain qu’il écrit ainsi pour nous prendre à rebrousse poil…..

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  2. CultURIEUSE dit :

    Aurais-je le courage d’en lire encore sur la maltraitance animale? L’emprunter à la bibliothèque municipale, par curiosité et sauter quelques passages…Pourtant, il est important que tout cela se sache et peut-être n’existe-t-il pas d’adjectif assez puissant pour décrire cet univers carcéral. J’espère que juger n’est pas le propos. Le monde paysan devrait être forcément respectable puisqu’il nous permet de nous nourrir. Hélas, à l’heure actuelle, ce n’est plus forcément le cas. Et nous, les consommateurs, en sommes responsables.

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