Histoire du Lion Personne – Livre Inter 2017

Jusqu’ici je n’avais lu aucun livre de Stéphane Audeguy (mais je rattraperai peut-être un jour « La Théorie des Nuages » publié en 2005- j’aime bien le titre ! – et parce que ce Lion et ses acolytes et personnages satellites (Pelletan, Adale, Yacine, Hercule, Jean Dubois) étaient des compagnons bien agréables sur 217 pages alertes.

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4e de couv’ :

Il est absolument impossible de raconter l’histoire d’un lion, parce qu’il y a une indignité à parler à la place de quiconque, surtout s’il s’agit d’un animal.

Il est absolument impossible de raconter l’histoire du lion Personne, qui vécut entre 1786 et 1796 d’abord au Sénégal, puis en France. Cependant, rien ne nous empêche d’essayer.

Et en effet : Why not ?

Se faire balader entre l’Afrique (Sénégal français) et la France au temps de la Révolution Française (ante & post) – notons par ailleurs dans la liste des livres inter de l’Edition 2017 également celui de  « 14 juillet » (immersion « totale » dans la Révolution proposée par Eric Vuillard) – est dans cette période électorale et chargée en traductions une bouffée d’oxygène fantaisiste bienvenue.

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Le Lion Personne (ce non-nom – toutefois emprunté de l’Odyssée (!) –  m’a rendu parfois la lecture un peu heurtée – malgré le « P » en maj.  « ….et Personne provoqua dans la troupe des émeutiers un mouvement de recul. » (p. 183) est « adopté » par un garçon nommé Yacine, doué en math’, instruit par un prêtre (Jean), sur le chemin de St. Louis pour y parfaire son éducation. Il sera –  avec Personne – accueilli par le patron de la Compagnie Nouvelle (Pelletan). S. Audeguy fera disparaître Yacine rapidement (p. 70) – dommage, je m’y étais déjà attaché – et recentrera ensuite le récit sur la relation entre Pelletan et la Compagnie, la population de Saint-Louis, Adale « un homme singulier à la peau d’un noir profond » – qui partagera la vie avec Pelletan aussi – sur le lion Personne et l’étonnant ami du Lion, le chien Hercule. Pelletan sera bientôt obligé d’envoyer les 2 animaux par bateau en France ……ou le tandem accompagné par Jean Dubois (une sorte d’Alter Ego de Buffon) traversera le pays jusqu’à la Ménagerie de la Cour de Versailles http://plume-dhistoire.fr/les-animaux-exotiques-des-rois-de-louis-xiv-a-napoleon-iii/

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et ensuite, à Paris Austerlitz (au jardin des Plantes, càd à la ménagerie du  jardin_des_plantes – cette dernière a été officiellement ouverte en 1794 !….

C’est picaresque, touchant et instructif. Ecrit dans une langue assez simple, proche d’un conte – mais dans un « décors réel » ainsi que sans faits anachroniques (ou surtout sans prêter la parole au lion (!). Les mœurs des colons à St. Louis, les agissements des responsables animaliers à Versailles/Paris, le contexte de la révolution, la pensée Rousseauienne et le siècle des Lumières (est-ce qu’ils ont une âme les animaux ?) ainsi que les balbutiement d’une autre révolution, ç savoir la révolution industrielle … nous balade loin de nos soucis actuels.

Une belle lecture agréable, intelligente et légère qui sans lourdeur aucune nous parle des marginaux et leur existence face à un ordre établi et bouleversé. Le M%onde l’avait traité d' »une merveille d’érudition joyeuse« .

Stéphane Audeguy a reçu pour ce roman le Prix Wepler 2016.

J’aime bien la critique de en-attendant-nadeau (extrait) :

Le geste de nommer l’animal est des plus beaux car Personne acquiert par là des émotions, des souvenirs, des rêves qui demeurent dans l’ombre des hommes et dans la zone grise du langage sans parole, mais dont le roman certifie qu’ils ont néanmoins été. Calme et mélancolique, le lion rencontre des humains et d’autres animaux avec joies et peines, sans pouvoir les mettre en forme ; il est martyrisé sans pouvoir se révolter, il aime sans pouvoir le dire. Il lui manque la parole pour être témoin de sa propre vie et des mots pour transmettre des souvenirs du monde dans lequel il a vécu. C’est comme une déchirure, car il aurait tant à dire. Car Stéphane Audeguy, compilateur de savoirs, n’a pas choisi de raconter la vie de n’importe quel lion. Si Personne a pu être capturé, emprisonné et déporté ainsi, c’est qu’il a été, à la manière de certains hommes, « de son temps ». Évoluant dans l’espace historique de la colonisation et de la traite négrière, de la cour royale et de la Révolution française, il est le contemporain d’événements politiques majeurs, éclairés d’une lumière nouvelle parce que vus à travers la vie de personnages périphériques, un lion à leur tête. Grâce à cette inversion des rôles, où Louis XVI joue un rôle moindre qu’un obscur adjoint de Buffon, les bouleversements climatiques de 1788 se révèlent plus importants que les troubles parisiens rapidement évacués (« Pendant l’été 1789, des humains s’agitèrent »), l’expansion coloniale apparaissant quant à elle au cœur de la politique royale et la question du statut des animaux plus centrale pour les révolutionnaires qu’on ne l’aurait pensé.

Cette déviation du roman va de pair avec la sublimation d’êtres vulnérables, étrangement semblables à ce lion. Histoire du lion Personne tremble d’émotion et s’amplifie à l’apparition de ces hommes assignés à la périphérie de l’histoire, qui traversent le récit comme des ombres furtives. Des exilés, tels ce réformé réfugié en Afrique, des déportés comme ces esclaves vendus sur le marché, des sacrifiés comme ce garçon qui meurt de variole. Leur propre inadaptation à leur temps ou au monde des hommes n’était pas inéluctable. Ils sont tous représentés sur ce monument pour Personne.

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Candidat au prix – aussi ? J’hésite, c’est mon ni-ni du jour. Mais je dois avouer que c’est très agréable d’apprendre au détour, par une observation encyclopédique, légèrement teintée d’humour et ou de tendresse, pleines de choses sur cette période ( les plus de 200 ans nous paraissent parfois – dans les réflexions – se rétrécir considérablement à un cheveu sur les dents…)°

 

 

 

A propos lorenztradfin

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10 commentaires pour Histoire du Lion Personne – Livre Inter 2017

  1. CultURIEUSE dit :

    Sur le siècle des lumières, ça peut être intéressant en effet. Je crains pour le lion…Ne vaudrait-il pas mieux lire Diderot ou Voltaire? Jacques le fataliste ou Candide sont assez drôles.

    Aimé par 1 personne

    • lorenztradfin dit :

      Oh ça n’a vraiment rien à voir …. Je pense que « Candide » restera un classique, tandis que « Personne » n’aura certainement pas une place dans l’Elyseum – mais permet de voyager « autrement » (surtout face à la tristesse du (pauvre) monde (politique/social) français actuel – lis la lettre ouverte de Ruffin dans Le Monde (de ce jour..! – 4.5.17!!!)

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  2. lorenztradfin dit :

    TRIBUNE.
    Lettre ouverte de Ruffin à M. Macron –

    Monsieur Macron, je regarde votre débat, ce soir, devant ma télé, avec Marine Le Pen qui vous attaque bille en tête, vous, « le candidat de la mondialisation, de l’ubérisation, de la précarité, de la brutalité sociale, de la guerre de tous contre tous », et vous hochez la tête avec un sourire. Ça vous glisse dessus. Je vais tenter de faire mieux.
    D’habitude, je joue les petits rigolos, je débarque avec des cartes d’Amiens, des chèques géants, des autocollants, des tee-shirts, bref, mon personnage. Aujourd’hui, je voudrais vous parler avec gravité. Vraiment, car l’heure me semble grave : vous êtes détesté d’emblée, avant même d’avoir mis un pied à l’Elysée.
    Lundi 1er mai, au matin, j’étais à la braderie du quartier Saint-Maurice, à Amiens, l’après-midi à celle de Longueau, distribuant mon tract de candidat, j’ai discuté avec des centaines de personnes, et ça se respire dans l’air : vous êtes haï. Ça m’a frappé, vraiment, impressionné, stupéfait : vous êtes haï. C’était pareil la veille au circuit moto-cross de Flixecourt, à l’intuition, comme ça, dans les discussions : vous êtes haï. Ça confirme mon sentiment, lors de mes échanges quotidiens chez les Whirlpool : vous êtes haï. Vous êtes haï par « les sans-droits, les oubliés, les sans-grade » que vous citez dans votre discours, singeant un peu Jean-Luc Mélenchon. Vous êtes haï, tant ils ressentent en vous, et à raison, l’élite arrogante (je ne vais pas retracer votre CV ici).
    Vous êtes haï, vous êtes haï, vous êtes haï. Je vous le martèle parce que, avec votre cour, avec votre campagne, avec la bourgeoisie qui vous entoure, vous êtes frappé de surdité sociale. Vous n’entendez pas le grondement : votre heure, houleuse, sur le parking des Whirlpool, n’était qu’un avant-goût. C’est un fossé de classe qui, face à vous, se creuse. L’oligarchie vous appuie, parfait, les classes supérieures suivent.
    Fulgurant paradoxe
    Il y a, dans la classe intermédiaire, chez moi, chez d’autres, encore un peu la volonté de « faire barrage », mais qui s’amenuise de jour en jour, au fil de vos déclarations, de votre rigidité. Mais en dessous, dans les classes populaires, c’est un carnage. Les plus progressistes vont faire l’effort de s’abstenir, et ce sera un effort, tant l’envie les taraude de saisir l’autre bulletin, juste pour ne plus vous voir. Et les autres, évidemment, le saisiront, l’autre bulletin, avec conviction, avec rage.
    Vous êtes haï, vous êtes haï, vous êtes haï. Et c’est dans cette ambiance électrique que, sans concession, vous prétendez « simplifier le code du travail par ordonnances ». C’est dangereux. Comme si, le 7 mai, les électeurs vous donnaient mandat pour ça.
    Dimanche 30 avril, sur France Inter, une électrice de Benoît Hamon regrettait votre « début de campagne catastrophique », votre « discours indigent », votre « dîner à La Rotonde », votre manque d’« aise avec les ouvriers ». Nicolas Demorand la questionna : « Et vous allez voter au deuxième tour, Chantal ? » « Plus c’est catastrophique, plus je vais y aller, parce que j’ai vraiment peur de l’autre », lui répondit l’auditrice en un fulgurant paradoxe.
    A cet énoncé, que répliqua votre porte-parole, l’économiste Philippe Aghion ? Il recourut bien sûr à la tragique Histoire : Shoah, négationnistes, Zyklon B, Auschwitz, maréchal Pétain. En deux phrases, il esquissa toute l’horreur du nazisme. Et de sommer Chantal : « Ne pas mettre un vote, s’abstenir, c’est en fait voter Mme Le Pen. Il faut que vous soyez bien consciente de ça. » Contre ça, oui, qui ne voterait pas ?
    Des Français hostiles
    Mais de ce rejet du pire, vous tirez un blanc-seing. Votre économiste parlait, le 30 avril, comme un missionnaire du FMI : « Réduire la dépense publique », « les coupes d’abord dans le social », « sur l’assurance-maladie », « la tarification à l’acte », « l’assurance-chômage », « les collectivités locales ». Tout y passait.
    Et d’insister sur le traitement de choc : « C’est très important, le calendrier, il faut aller très vite. Il faut miser sur le capital politique de l’élection pour démarrer les grandes réformes dès le début, dès le début. Quand on veut vraiment aller vite sur ces choses-là, je crois que l’ordonnance s’impose. Je vois la France maintenant, un peu un parallèle avec l’après-guerre, je crois que nous sommes à un moment semblable à la reconstruction de 1945. » Rien que ça : la comparaison avec une France à genoux, qui a servi de champ de bataille, qui n’avait plus de ponts, plus d’acier, plus d’énergie, bref, ruinée, alors que le CAC 40 vient, cette année, de verser des « dividendes record » aux actionnaires.
    Mais de quel « capital politique » parlez-vous ? La moitié, apparemment, de vos électeurs au premier tour ont glissé votre bulletin dans l’urne moins par adhésion à votre programme que pour le « vote utile ». Et pour le second, si vous obtenez la majorité, ce sera en souvenir d’Auschwitz et du « point de détail ». Des millions de Français ne se déplaceront pas, qui ne veulent pas choisir entre « la peste et le choléra », qui vous sont d’ores et déjà hostiles.
    C’est sur cette base rikiki, sur cette légitimité fragile que vous comptez mener vos régressions à marche forcée ? Que ça passe ou ça casse ? Vous êtes haï, monsieur Macron, et je suis inquiet pour mon pays, moins pour ce dimanche soir que pour plus tard, pour dans cinq ans ou avant : que ça bascule vraiment, que la « fracture sociale » ne tourne au déchirement. Vous portez en vous la guerre sociale comme la nuée porte l’orage. A bon entendeur.

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  3. lorenztradfin dit :

    Yep – je peux – et quand je veux !!!

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