Ahh la langue française plus vivante que jamais !
Aujourd’hui un petit tour de piste des termes Macroniser – Macronisation – fillonner – fillonisation (nous les traducteurs avons encore du pain sur la planche)
En 2015 – avec la loi Macron est né le terme « macroniser » (désignant le fait d’adapter l’économie à la mondialisation, mettre de la flexibilité… »macroniser la France » macroniser des professions »
En 2017, en plein campagne présidentielle, Bernard Pivot, le définit autrement: “Se macroniser. Déf.: se rallier au futur gagnant. Ex.: début 44, pétainistes et indécis se macronisaient pour de Gaulle”.
D’autres (Nicolas Romeas) nous expliquent en revenant à la signification première : Macroniser, verbe transitif (fam. « macroner« ) : Agir exactement en sens inverse de ce que l’époque et la conscience de la situation du monde exigent, afin de satisfaire aux objectifs des néolibéraux d’inspiration US. Exemple : multiplier les autocars à essence au moment même où il est indispensable de développer des transports non-polluants et où le pétrole se raréfie (pour l’extraire du schiste – le plus souvent à perte – on empoisonne l’eau et on détruit des espaces naturels).
Macronisation, substantif : Action de macroniser et ses conséquences. Ex. d’usage dans une phrase : « le gouvernement français a fait le choix d’une macronisation irresponsable que les générations futures paieront au prix fort». A aussi donné par analogie le substantif « maqueron » (pop.) dérivé argotique généralement considéré comme insultant : «tu t’es comporté comme un vrai maqueron» ainsi que le verbe «maqueronner» (saboter, saccager, abîmer quelque chose, un projet ou, par extension (vulg.) : abuser quelqu’un ou un groupe de personnes).
Attention aux pièges de la langue, l’homophonie a joué un rôle dans l’évolution des mots, cependant il y a des nuances de sens : «La définition du « maqueron » n’est ni celle du « maquereau » ni celle du « maquignon », c’est une sorte d’hybride entre les deux» (Littré).
Philippe Ridet (Le Monde) fait de son côté un joli tour de piste des significations de la « fillonisation » :
Cela devrait être le stade ultime de la consécration pour un politique : quand son patronyme donne naissance à un nom commun – verbe, adjectif ou substantif. Parfois laudative, quelques fois péjorative, cette dérivation du nom propre atteste d’une trace laissée dans l’histoire, ou du moins dans la chronique, ce qui est un bon début. Ainsi, dans un passé récent, De Gaulle nous laissa le gaullisme en héritage (les gaullistes, eux, se sont faits plus rares), Chirac, les chiraquiens (eux aussi en voie d’extinction) et Mitterrand, les mitterrandistes (idem). Le fillonisme, lui, se laisse attendre.
En revanche, le verbe filloniser se porte bien. Une recherche sur Internet fait remonter son apparition à 2010 lors d’une émission télévisée de Laurent Ruquier, lequel constatant que Jean-Louis Borloo a domestiqué sa tignasse ébouriffée, en déduit qu’il se « fillonise » pour mieux briguer Matignon, que François Fillon occupe depuis plus de deux ans. En 2011, l’expression revient sous la plume d’un journaliste de L’Obs qui, constatant que Nicolas Sarkozy se convertit à l’austérité, conclut « il se fillonise ». Filloniser signifie alors : avoir une belle apparence et parler franc (exemple : « Je suis à la tête d’un Etat en faillite. »).
Antonyme exact de la balladurisation
Cinq ans plus tard, tout change. François Hollande, en 2016, a confirmé Manuel Valls à son poste de premier ministre, une manière, pensent alors les commentateurs, de l’empêcher d’être candidat contre lui en 2017 (ici, on ne peut s’empêcher de sourire). Les amis du premier ministre, les vallsistes donc, craignent que ce dernier se « fillonise » rue de Varenne. Le verbe filloniser désigne alors une sorte de martyre, un consentement à un rôle d’éternel second attaché à son piquet et interdit de sortir du pré carré de ses responsabilités (synonyme : rocardiser…).
Mais en l’emportant à la surprise générale, sauf la sienne, à la primaire de la droite et du centre, François Fillon impose une nouvelle définition aux dérivations issues de son patronyme. Celles-ci deviennent alors l’équivalent d’un succès incontestable obtenu à la barbe des sondeurs et des journalistes. L’antonyme exact de la balladurisation, qui signifie pour un candidat, grisé par les études d’opinion, se parer des lauriers du vainqueur avant de franchir le premier tour.
Toutefois cette acception n’aura pas le temps de s’imposer. Que veut dire aujourd’hui filloniser ? Embaucher son épouse et ses enfants dans des emplois présumés fictifs (exemple : « Aujourd’hui, au boulot, j’ai fillonisé à mort ») ? Accepter costumes et montres de prix de la part d’amis riches (exemple : « Monsieur X aimait filloniser ses amis pour mieux se les attacher ») ? Dénoncer des machinations, des mises à mort, des cabinets noirs (exemple : « Au comble de la fillonisation, l’accusé se prétend innocent ») ? Et chuter peut-être (exemple : « Waou ! Dans la descente, je me suis grave fillonisé ») ?