L’indolente – Le mystère Marthe Bonnard

Voici un livre de la peintre, psychanalyste et écrivaine Françoise Cloarec autour de Pierre Bonnard et Marthe Bonnard (Maria Boursin).

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F. Cloarec pose une question centrale : « Qui est Marthe Bonnard ? » sans pour autant pouvoir donner une réponse tranchée, mais en puisant dans une bibliographie immense (10 pages de 226 notes et 7 pages d’indications bibliographiques – un joli paquet je vous dit, qui donne envie de se jeter dans quelques’uns de ces livres/textes) elle nous présente en un grand diaporama de la vie du couple (lui le peintre, elle son modèle et béquille de sa vie : 1893 – 1942/1947) et surtout d’une époque charnière de l’art.

En effet, les 325 pages du livre fourmillent de noms illustres (la bande des Nabis au début autour de Vuillard et Valloton, Matisse, Giacometti, Brassaï, les Hahnloser (Arthur et Hedy), Signac, Picasso (qui détestait la peinture de Bonnard), Manguin, Marquet… et de dizaines d’autres, nous offrent des extraits de textes d’une richesse (pour moi) inouïe.

Pour accompagner et illustrer ma lecture j’avais posé, à côté de moi, le catalogue de l’exposition « Bonnard – l’oeuvre d’art, un arrêt du temps » ( vue le 8.2.2006 au Musée d’Art Moderne de Paris )

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(pour rappel : « …..Cette exposition est très belle, très intelligemment conçue. Elle réhabilite, s’il en était besoin, Bonnard pour ce qu’il est : un très grand coloriste et un superbe artiste, un précurseur de la modernité plus qu’un post impressionniste égaré dans son siècle.
Le catalogue qui accompagne cette exposition est fort bien fait, avec des textes explicatifs de haute qualité et des illustrations qui démentent ce qu’un critique anglais, Howard Hodgkin, a écrit : « Ses tableaux passent mal aux reproductions parce que la délicatesse de la touche est quelque chose qu’il faut ressentir physiquement ». Certes il vaut mieux voir un original que sa reproduction, et vous en avez actuellement une superbe occasion au Musée d’Art Moderne de Paris. Néanmoins, voir et revoir les tableaux reproduits dans cet excellent livre vous donnent, comme l’a dit son dernier modèle Dina Vierny, « des coups de pinceau en plein cœur » qui arrêtent le temps.) »
http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/11247

Mais revenons au livre.

Structuré en assez courts chapitres (54 de 4 – 7 pages chaque fois), numérotes et assortis d’une indication d’année, il retrace la rencontre de Pierre et Marthe/Marie, leur vie commune, leurs voyages, leurs amis, les expositions, leurs maladies/morts et (je l’avais oublié tout simplement : les années de la bataille juridique autour du héritage de P. Bonnard. Cette bataille (d’une durée de 15 ans !!) est née du fait que Pierre Bonnard avait, 9 mois après la mort de Marthe/Marie, fait un « faux » léguant le patrimoine de sa femme à lui (« heureusement » pour l’issu des procès, il avait daté ce testament 9 mois après la mort de sa femme (!)), procédé certes pas très propre mais compréhensible puisque il partait de l’idée que sa femme n’avait, comme elle le proclamait depuis toujours, pas/ plus de famille, ce qui s’avérera être un mensonge que Françoise C. essaie de comprendre/élucider aussi.

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Un peu d’information sur ce dernier sujet : Le testament Bonnard raconté par Daniel Wildenstein : http://www.lexpress.fr/informations/daniel-wildenstein-raconte-5-le-testament-bonnard_634497.html

Par ailleurs je m’excuse d’emblée de ne pas avoir cherché les titres de tous les tableaux.

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Bonnard et Marthe/Marie qui « s’est  incarnée dans la passion de la peinture » (p.246)…. « Pierre et Marthe ont transformé un coup de foudre en une longue histoire d’amour, un élan spontané en plusieurs décennies d’attachement. Si elle ne vit plus dans le monde de la réalité, elle vit toujours dans l’oeuvre. » (p. 245). Pourtant Pierre Bonnard n’était pas un Saint….. certes « seul le désir de créer compte » et « Marthe est indissociable de la peinture…(…) Plus que de l’amour, Pierre a la nécessité de son corps pour mettre en forme quelque chose d’irremplaçable » mais il y a aussi Renée Monchaty, aussi blonde que Marthe était brune (illustration de droite) , modèle dans de nombreux portraits du peintre, nue elle aussi, qui elle se suicidera quelques semaines après le mariage du peintre avec Marthe/Marie, ou aussi Lucienne Dupuy de Frenelle (morte de maladie en 1927) (illustration de gauche). Le ménage à trois (voir quatre – donc reflet probable aussi d’une incapacité de choisir) fait dire à Bonnard un jour « Vous savez, je ne suis pas très courageux… » [Sacrifier Marthe pour vivre avec Renée demanderait une énergie folle dans tous les domaines. Cette jeune femme a une attente de lui qu’il n’est pas sûr de pouvoir combler. Or, cette énergie, il en a besoin pour peindre.(p.145)]

Bonnard et ses promenades (et notes dans ses carnets – il fait « provision de vie » et « revient de chaque promenade avec une nouvelle tonalité de bleu, de vert, de jaune dans la tête. Sur la toile les ombres deviennent miellées, orangées. » (p. 194)

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Marthe/Marie et ses crises, maladies, joies… Toute sa vie Bonnard a peint sa femme – éternellement jeune – souvent de mémoire, à partir de dessins, toujours renouvelée

et toujours les réflexions sur l’art de Bonnard, sa manière de peindre « qui ressemble à une chorégraphie lente. Le fusain ou le crayon grattent sur la feuille, caressent, reviennent, hésitent, gomment. Il trace de grandes lignes, recule, s’arrête, se rap- proche, ferme un œil, puis l’autre, s’approche encore, regarde, recule, s’arrête, regarde mieux, découpe le champ de son regard avec les mains pour isoler une partie de la toile, qu’il retourne. Si elle résiste, tient au regard a l’envers, tout va bien. D’un geste familier, il frotte son chiffon. La pâte se mélange, il la prend rapidement a l’aide d’un pinceau dur. Par moments, il ne veut plus d’intermédiaire, son doigt porte la matière. Les couches s’ajoutent aux sous-couches. Il attend que la couleur tout juste posée sèche pour en ajouter une autre. Les contours doux, l’œil circule sans heurt. Il va, il vient, chantonne, se frotte les mains, le monde extérieur n existe plus. La nuit intérieure se défait dans la création. »

Et encore toujours le « jaune » (on n’en mets jamais assez dans les tableaux aurait-il dit un jour) – ah son « L’omnibus »…(ici des intérieurs au Cannet)

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Roman (?), récit biographique romancé, enquête sur une femme attachante, fragile, revêche aussi avec une multitude de réflexions sur les geste de l’artiste, et surtout sur le couple et ce qui l’unit.

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J’ai passé d’excellents moments (avec le livre et le catalogue cité dessus – ainsi que celui des Nabis (1993/94 à Paris).

 

 

A propos lorenztradfin

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8 commentaires pour L’indolente – Le mystère Marthe Bonnard

  1. viduite dit :

    Merci pour ce bel article et ses illustrations. Un livre de plus que j’ai très envie de lire.

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  2. j’adore Bonnard, vraiment. Bel article

    Aimé par 1 personne

    • lorenztradfin dit :

      Comme moi…. et là c’était comme avoir été un peu à côté de lui…. de faire un voyage dans le temps. Tout en découvrant un bout de bonne femme étonnant et (toujours) mystérieuse.

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      • Je comprends ! J’ai vu l’expo Matisse à Lyon, je ne suis pas ardente fan de Matisse, mais là, je me suis dit que je n’aime pas Matisse ( ouhlala ça se fait pas ! ); de beaux dessins, certes, j’ai vu deux toiles sublimes à l’expo Chtchoukine ( sais pas si j’écris correct ! )mais pour moi malgré tout je ne comprends pas son succès. Bonnard, oui, c’est merveilleux

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  3. Francoise Cloarec dit :

    Merci et bravo pour votre propre enquête !

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    • lorenztradfin dit :

      Vous êtes trop sympathique Françoise pour laisser un message pour mes bafouilles. D’autant plus que je n’ai pas souligné l’art consommé de mélanger les « sources littéraires et biographiques » et vos propres mots et créations et émotions comme page 213 (ou vous pensez à A. Cavalier et son film « Bonnard » ….dormir « pas dans celle de Marthe, je crois qu’elle y est encore. » – phrase qui m’a donné un petit frisson de lecteur.

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