Arturo Ui & Oui

Vu la pièce à la MC2 de Grenoble « La Résistible Ascension d’Arturo Uri » de Bertolt Brecht (écrite en 1941 !), en tournée en pleine période pré-électorale.

La dernière fois que j’ai vu la pièce c’était (encore à Paris): 1993, avec Guy Bedos dans le rôle titre, mise en scène par J. Savary qui avait placé le tout dans le Chicago des années 30 et la pègre… Là, cela n’a plus rien à voir, et sera plus proche de nous….

Dominique Pitoiset, lui, nous avait, il y a 3 ans et demi proposé un Cyrano de Bergerac dans un hôpital psychiatrique. Dans cette nouvelle production, le décor « clinique » (une morgue à « tiroirs multiples » – d’ou sortent les pieds de cadavres)  m’a semblé tout aussi glaçant que celle du Cyrano.

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…Et mettre en scène La Résistible Ascension ici et maintenant – en France en 2017 –, ce n’est surtout pas monter une production historique, surtout pas mettre l’intrigue à distance de notre époque en réduisant le propos à une simple dénonciation de l’hitlérisme. C’est plutôt mettre ses pas dans ceux de Brecht et s’attacher à distinguer non seulement Hitler derrière Ui, mais surtout, derrière Hitler, les mécanismes qui rendent possible – y compris aujourd’hui – une telle prise de pouvoir. Il est trop facile de se rassurer en jouant à situer le fascisme derrière nous, quand il menace d’être devant, voire sous notre nez. Si « le ventre est encore fécond d’où est sorti la bête immonde », le miroir que nous tend la pièce nous renvoie peut-être, de notre situation, une image plus inquiétante que jamais – et le théâtre a toujours son rôle à jouer dans la dissection de ce ventre-là. (extrait du programme – Note d’intention, D. Pitoiset )

Par ailleurs, la pièce a été re-traduite/-travaillé de l’allemand par Daniel Loayza (partant de la version de l’édition de poche de chez Suhrkamp et sur l’adaptation faite par Heiner Müller en 1995)

Certes, on est dans un  théâtre proche du populaire, parfois les effets sont peut-être un peu faciles (les « 50 ans et je n’ai encore rien » dit par Arturo et sont regard appuyé sur son poignet vide de montre, la danse d’Arturo avec Rom sur « Besame mucho », la croix gammée avec les cendres de Dolfus, que Torreton chasse et piétine lors des ovations, la marche Radetzky (video avec Karajan, dont l’engagement avec les nazis était bien connu) et le défoulement des acolytes d’Arturo…

Mais dans l’ensemble, comme à « son habitude » je dirais, Dominique P. nous capte parfaitement grâce aussi à un P. Torreton qui joue à la perfection cette farce cynique qui à l’époque de Brecht faisait penser à Hitler, mais qu’ici, débutant avec une histoire de corruption et d’arrangements, nous fait penser au monde politique d’aujourd’hui (p.ex. Cahuzac, Fillon….)… Shakespeare et son Richard III ne sont pas loin, même si c’est le fameux monologue de « Jules César » qui  sera cité.

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Pour Brecht, ce n’était pas une production historique mais une pièce destinée à faire réfléchir sur des mécanismes et des événements tout à fait contemporains de son écriture. Et il s’est servi de Richard III de Shakespeare entre autres comme d’un patron pour découper, mettre à la fois en forme et à distance le récit de la prise de pouvoir par les nazis. Il ne s’agit pas pour nous, aujourd’hui, de raconter l’histoire d’Hitler ou de faire comme si on éclairait automatiquement le présent, car les situations historiques sont très différentes. Mais je crois que par son thème, par son ton, par son intelligence ironique, par son démontage de la théâtralité du pouvoir et à l’heure du tout médiatique, la pièce résonne terriblement avec notre monde. Et c’est ce que je vais essayer de montrer en proposant aux spectateurs un miroir où la distanciation ne sera pas synonyme de profondeur historique. (extrait du programme – D. Pitoiset c’entretient avec ME. Galfré

Utilisation de la vidéo (« images choc ») : ça commence avec la retransmission du chœur des esclaves de « Nabucco » ( Verdi) un soir de mars 2011 sous la baguette de Riccardo Muti, ou l’ensemble (!) de la salle reprend le fameux chant pour dénoncer la politique de Berlusconi, chant par ailleurs repris plus tard (par tous les acteurs, comme lors d’un meeting électoral et comme chantant la Marseillaise)….pendant qu’à l’écran on voit l’embrasement de la rue, des scènes de batailles, le Reichstag et/ou une voiture de police en flammes etc…)

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Enfin, belle fin sur « Carmina Burana », après l’accession au pouvoir, Ui s’adresse au public dans un discours à la Nation, mais le son de sa voix coupé  – on voit qu’il bouge les lèvres, fait ses gestes reconnaissables parmi tous (devant des écrans multipliant les drapeaux tricolores – comment ne pas penser aux meetings, dont le dernier en date, dimanche, à Paris, place Trocadero (Fillon) )? Et en surimpression 3 mots – les plus forts ! – projetés à l’écran :  Autorité. Inégalité. Identité.

Ça claque, ça cogne, n’est donc pas d’une subtilité au-dessus de tout soupçon, mais pour montrer/rappeler que Hitler a fait des émules, qu’il suffit parfois d’une volonté inaltérable, prête au pire, une énergie brute, condensée, inflexible… (j’arrête là !) – et ça P. Torreton nous l’incarne parfaitement.

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2 commentaires pour Arturo Ui & Oui

  1. CultURIEUSE dit :

    Je pense que pour certains publics il ne faut pas faire dans la dentelle pour souligner un propos. Je suis comme toi, je préfère un art théâtral plus nuancé et même métaphorique. Mais ici et maintenant, je ne suis pas contre les grosses ficelles pour étrangler les extrêmes!

    Aimé par 1 personne

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