Drôle de livre addictif qui fait tourner la tête avec son rythme à trois-temps et ses aphorismes.
4e de couv’ :
Emma(nuelle), quarante ans, mariée, trois enfants, heureuse, croise le regard d’un homme dans une brasserie. Aussitôt, elle sait.
Et le bandeau nous vend: « G.D. explore dans ce roman virtuose la puissance du désir et la fragilité de nos existences.
Tryptique, donc en 3 parties (inégales) : La 1ere en 72 paragraphes numérotés de 72, 71, 70 …à 0 – sous le titre « Brasserie André » :
Ça commence comme le roman d’un « banal » adultère (par ailleurs dans la dernière partie fait apparition Lady Chatterly et « son lit »…), ou coup de foudre/de tonnerre foudroyant – à partir d’un instant ou tout bascule, mais se mue en autre chose (distillé dès les premières pages)…. sujet (banal) traité souvent en littérature, mais qui passe (à mon goût) grâce aux descriptions du désir naissant de la femme, les questionnements, même s’il y a parfois des phrases un peu trop « banales », lardées d’envolées lyriques et quelques réflexions plus délicates/sensibles limite mièvres peut-être.
« Je crois que l’on trébuche amoureux à cause d’une part de vide en soi. Un espace imperceptible. Une faim jamais comblée. « (p.27)
La 2e partie dénommée « Pomme de Pin » (un séjour de la narratrice dans un Camping du Nord – rencontre avec un personnage (Mimi !) qui aurait pu naître sous la plume d’une Muriel Barbery). Un événement a fait tout basculer, Emmanuelle, la femme forte-fragile, (Emma, aima, elle, nu !) va (devoir ?) se recomposer près des plages et dans les vents du Nord (partie « lente » – ou pour utiliser la terminologie des opéras (auxquels Delacourt fait souvent référence – Mme Butterfly, La Traviata, Orphée & Eurydyce, Poppée, Donizetti…) – une sorte de récitatif avant le grand « pas de deux » du ballet La Nuit Transfigurée (chorégraphie de Anna Teresa Keersmaeker) ou des scènes de films de Sautet que G.D. cite pour illustrer ses propos.
La 3e partie « Route des vins » offre outre un autre tournant, une réflexion (parfois poignante) sur la vie, la mort, le désir (encore), le couple également un kaléidoscope de gîtes & hôtels de luxe ***** dans le Sud (Domaine Rabiega – chateau de berne chateau-st-martin (le + beau parait-il – et les photos vues sur le net donnent en effet une envie de devoir payer l’ISF). Par ailleurs, les vins qui jalonnent le livre donnent également envie de honorer Bacchus et la vie (Griotte-Chambertin, Clos-Dierre de Rabiega, Corton clos-rognet 2004 de Méo-Camuzet, ou le Leoville-poyferré 2009 sur une plage de St. Raphale (!!) – le seul de la liste que j’ai déjà bu …. notamment quand ils sont décrits avec le langage du couple : « plus de sabot, de poils de bique ou de lèvres douces…boire jusqu’à tomber, parce que le départ des hommes que j’aime réveille en moi une colère méconnue. » (p. 280)
S’y rajoute – in fine et in extenso (comme pour ceux qui n’ont rien compris) – « La chèvre de Monsieur Séguin » (A. Daudet) dont des paragraphes se sont déjà glissé (au point nommé) entre les paragraphes du roman.
Grégoire Delacourt est futé et nous trimbale de fausse piste à fausse piste, et il devient ainsi pour moi une sorte de Mr. Jekyll/Hyde puisque intellectuellement je me suis dit que c’est consternant/ rasoir/ mièvre /déjà-vu (en mieux)/boboesque aussi, tandis que la petite Madeleine qui sommeille en moi est touchée en plein cœur, écoute l’écho de quelques phrases (de bon sens) qui donnent l’impression d’avoir des profondeurs inouïes.
Je n’ai encore lu aucun livre de cet auteur mais je ne sais si je lirai un de ses best-sellers d’avant. Pour illustrer ma valse-hésitation et pour terminer qqs phrases pour almanach – soit cela donne envie soit cela vous rebute (moi je n’ai pas bien su choisir et passé un bon petit moment en apnée avec un texte qui résonnait (aussi).
Je suis amoureuse. Je suis financée au désir – on dit promise, aussi. Promise au désir. (p.101)
Dormir avec mon mari, et penser à un autre. Ressentir le poids du corps de mon mari, entendre ses ronflements et penser à un autre….Glisser ma main vers le centre de mon désir, et penser à un autre. Morde ma bouche pour me taire, pour déchiqueter le prénom inconnu d’un autre. Pour le savourer, comme un suc. La jouissance est une errance de nuit. (p. 34)
Je me revois seule, ce jour-là. Je me revois l’observer se lever, déplier sa longue silhouette 9 une autre femme, là-bas, le regardait aussi, je m’étais sentie fière, choisie, préférée -, j’entends mon cœur s’emballer de nouveau. Je me souviens de la moiteur de mes mains, de la sève qui coulait, tiède, au bas de mon ventre, j’aurais voulu qu’il revienne, qu’il fonce vers moi comme un taureau furieux et me prenne contre lui et m’embrasse et plonge sa langue dans ma bouche et fouille jusqu’à mon cœur, mais j’ai aimé aussi qu’il né revienne pas, j’ai aimé que cette attente se prolonge, s’éternise, aimé qu’il me laisse là, m’abandonne presque, seule encore, pour quelque temps, sur cette très fine digue qui résistait toujours, cette digue qui séparait la paix de l’émancipation. Je dansais au bord de l’abîme. Ce n’était pas la peur de tomber qui faisait pousser les ailes, c’était la chute. Sa chute, qui avait soudain donné à Blanquette la force de redoubler de coups de cornes alors que les étoiles s’éteignaient l’une après l’autre. (p.73)
J’ai changé de coiffure. J’ai demandé à mon esthéticienne de me I faire un maillot brésilien. J’ai fait un gommage — visage et corps. J’ai choisi un nouveau parfum. De la nouvelle lingerie. J’ai acheté une nouvelle paire de chaussures – des talons plus hauts. J’ai rangé mon alliance dans le tiroir de ma table de nuit, les années avaient dessiné une cicatrice claire sur mon annulaire. Les hommes n’imaginent pas tout ce que nous avons à faire avant de nous livrer. Demain a été là. (p. 132)
La solitude ça fait disparaître du vocabulaire des phrases entières, tout comme trop de temps passé avec la seule compagnie de l’autre….Mon immolation dans l’instant – l’instant, qui est le seul lieu de bonheur possible, il me l’avait appris, il m’en avait convaincue et je l’avais cru. J’avais sauté dans le vide pour ça. (p.160/161)
Je le regarde. Je ne pleure pas. Les larmes n’ont jamais rien fait pousser. Et lorsque son nez se remet à saigner, je recueille le sang sur mes doigts, je le bois, et je sais qu’il est en moi pour toujours. (p.293)
Post-scriptum (1):
Emma – encore plus après le très très court « chapitre » 105 : « Emma aima » m’a fait penser souvent/tout le temps à la chanson des Têtes Raides » Emma » (et l’envie de Jeanne Moreau de partager le désir des autres et qui n’a plus peur de rien) Chapitre 105 (Emma aima).
Emma m’aima je n’sais pourquoi Emma M’aima-t-elle Emma Emma pourquoi moi Pourquoi pas l’autre et pourquoi pas çui-là Emma m’aima m’aima-t-elle Emma moi Quand on s’ennuie on s’dit qu’c’est beau la vie La loupe pas elle passera qu’une fois Entre le cordes d’une mélodie La sol fa si c’est pas si fa sol la Si tu le veux on s’en fout plein les yeux Entre les dents d’la chair et du ciment Au pire du mieux on s’ra seul on s’ra deux Je n’sais plus quand ni pourquoi ni comment Emma m’aima je n’sais pourquoi Emma M’aima-t-elle Emma Emma pourquoi moi Pourquoi pas l’autre et pourquoi pas çui-là Emma m’aima m’aima-t-elle Emma moi Y a pas la vie si y a pas la folie La lâche pas elle passera qu’une fois Dans de biens belles belles mélodies Si ré la do c’est pas do ré si la J’sais pas si mieux mais j’te boufferai les yeux On est vivant tant qu’il est encore temps Comme on est deux on s’ra seul on s’ra mieux Je n’sais plus quand ni pourquoi ni comment Emma m’aima je n’sais pourquoi Emma M’aima-t-elle Emma Emma pourquoi moi Pourquoi pas l’autre et pourquoi pas çui-là Emma m’aima m’aima-t-elle Emma moi
Post-scriptum (2)
Dans le blog de G. Delacourt un « joli »Interview avec un peu de poil à gratter dedans.
Le désir est justement fascinant parce qu’il ne dure pas. Pas dans son intensité magnifique en tout cas, dans la passion, dans le feu. Ce n’est pas triste. Ce qui est triste c’est de ne pas l’avoir connu. De ne pas s’être brûlé.
Post-scriptum (3)
L’article d’un blogueur dans lequel je me retrouve…
Juste pour la référence aux Têtes raides – que j’adore – et à Jeanne Moreau – idem – Merci pour ce post !
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Un inconditionnel, Jean Fabien : https://wordpress.com/read/blogs/30384966/posts/1509
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Merci – sympa la critique
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Je crains un peu de faire partie du groupe que cela rebute …
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