Pas convaincu

Rapidement un petit tour de piste autour de 2 livres lus au cours des derniers mois mais qui m’ont laissé sur la faim, déplus ou pas convaincus du tout.

Cannibales (Jauffret)

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Cannibales est un exercice de style cruel, brillant, parfois drôle et surtout désespéré. 2 femmes se « disputent » un homme (la mère et la femme de celui-ci)… au point de vouloir le dévorer…

« Je les ai senties percer le papier de votre lettre, ces cornes de diablotin qui ornent votre tête comme paire d’antennes de cancrelat. Une fameuse coquine prête à sauter le pas pour trucider mon fils. J’ai entendu vos babines se frotter d’aise à chaque mot et le bruit de l’eau qui vous venait à la bouche couvrait celui des vagues qui depuis quelques jours trouve le moyen de s’insinuer dans tout l’appartement.

Tuer Geoffroy ? Une mère y réfléchit à deux fois avant de prendre la décision d’occire son petit. Un enfant, c’est une longue histoire. Pour les plus chanceuses, elle commence par quelques secondes de ravissement. Je n’ai pas eu cette chance car je n’ai jamais frémi sous Poutine. Un fardeau qui tombait sur moi comme une masse, près d’un quintal d’homme pesant sur mon ventre et cent grammes à peine de corps caverneux dans ma chapelle, comme disaient les nonnes qui m’ont élevée en parlant du temple de la génération… » (p.44)

L’homme – Geoffrey (Jauffret ?)-  y est faible, fragile et devient la victime-proie de deux  bacchantes (la mère/l’amante (la mante ? ?)) avides de sa chair ; le lecteurs est confronté aux  corps dans toute leurs « splendeurs périssables »: sang, viscères, poils, os, sperme….. Ecce homo !…pendant que les  femmes discourent dans des échanges de courriers (tel dans les Liaisons Dangéreuses) sur la vie et l’amour, lyriquement et cyniquement (… l’auteur-homme s’est mis complètement dans leur peau ).

« Au-delà de nos corps en fête, notre relation a des résonances métaphysiques. Votre corps est un orgue dont je me flatte de savoir tirer des notes profondes, tandis que du mien s’échappe le plain-chant. Votre logement se mue alors en basilique et escaladant avec vous les échelons du plaisir, je deviens folle amoureuse de Dieu. » (p.122)

Toutefois tout ce désespoir cruel m’a laissé froid comme un poulet Picard, même si le lyrisme m’a parfois enchanté et donné envie de lire à haute voix….

 

Au commencement du septième jour – (Luc Lang)

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Je ne me souviens pas d’avoir lu un seul des 14 (!) livres de cet auteur.

Celui-ci est un oeuvre déroutante (pour moi) – 538 pages dont le 1er tiers m’a intéressé, captivé même… Un homme attend sa femme, elle ne reviendra plus (accident de la route, sur une route ou elle n’aurait pas dû se trouver d’après les info dont dispose le mari. Elle doit être opéré, elle se trouveras dans le coma – va-t-elle se réveiller ?… questionnements, recherche, fouilles archéologiques dans le passé (et le présent) du couple, réalisés par le mari (soupçons, doutes, questions, et encore des questions) – ce qui aura des répercussions sur son travail.

Toute cette partie est forte, tendue … une fois la tension tombée (la femme vient de mourir, les questionnements changent d’orientation), nous partons dans les Pyrénées (chez le frère du narrateur – il y a anguille sous roche dans cette famille) avant de faire un saut encore plus loin : on va atterrir en Afrique (chez la sœur du narrateur)

Ainsi, au fil de la lecture, le roman s’avère être une (longue) quête existentielle….

 » … c’est elle qui raccroche ? Qui lui raccroche au… Il appuie fébrilement sur la touche rappel, mais c’est un numéro privé. Il essaye d’appeler son portable. Qui est éteint, il tombe de suite sur la messagerie. C’est mort, elle ne répondra plus. Pas ce soir, nom de Dieu, pas ce soir… Elsa vient de glisser la tête par la porte de sa chambre, sa longue chevelure bouclée submerge son visage : Vous vous êtes disputés ?… Mais non, ma puce, t’inquiète pas. Lorsqu’il songe maintenant à l’effondrement intérieur qu’il a soudain éprouvé, il se demande s’il avait alors l’intuition d’une dérobade aussi définitive. L’image qui s’impose à présent est plus minérale, plus narrative, celle d’un à-pic, il la tient encore par la main, elle se débat, suspendue dans le vide, il ne lâchera pas, mais l’épuisement gagne, leurs mains se dénouent, elle va disparaître dans l’abîme, il demeurera seul, musculairement coupable de n’avoir pu la hisser, coupable et vaincu.  » (p.11 – premiers paragraphes)

Descriptions des instants, de la beauté des choses perçues, de l’écoulement du temps (le narrateur est un ingénieur IT qui a trouvé un système – hautement performant (et rentable) pour mesurer et contrôler le temps de travail de salariés ) et de l’infiniment petit dans un monde qui va très très vite.

3 lecteurs (entre autres) convaincus :

Oui, on sort totalement groggy de ce livre. Essoufflé mais ravi. Impressionné par la performance de l’auteur, ce fil narratif qui ne rompt jamais, l’émotion qui affleure au fur et à mesure que Thomas se débarrasse des scories qui polluent son esprit, et ces personnages, tous ces personnages auxquels on s’attache, qu’on a l’impression de connaître, qui deviennent des compagnons dont on a peine à se séparer. http://www.motspourmots.fr/2016/09/au-commencement-du-septieme-jour-luc-lang.html
J’aime beaucoup la formule d’Éric Libiot qui dans L’Express explique le travail de Luc Lang en expliquant qu’«il cuisine de la théorie dans un grand chaudron romanesque» et que les «500 pages passent comme une respiration. Un rythme de sprinteur pour un roman de coureur de fond.» J’ajouterai que ce roman, dans sa quête individuelle, touche à l’universel. Fruit de plusieurs années de travail, cette œuvre est tout simplement ce que j’ai lu de plus beau cette année. Il mériterait amplement les lauriers d’un prix littéraire.  https://collectiondelivres.wordpress.com/2016/09/07/au-commencement-du-septieme-jour/
C’est un roman d’une belle humanité, d’une sensibilité parfaite et d’une écriture magnifique. L’auteur joue avec le temps, étire les instants et d’une pirouette nous laisse vide d’explication, plein d’incompréhension, comme pour nous protéger, nous lecteurs, de la douleur de « notre » héros, Thomas. Tout l’art du dit et du non-dit...http://leslecturesdalice.over-blog.com/2016/10/en-totale-compassion-avec-les-personnages-d-au-commencement-du-septieme-jour-de-luc-lang.html

Tandis que moi – parfaitement à contre-courant de l’accueil favorable de la presse (et de nombreux bloggueurs), je me suis, notamment dans le 2e « livre » (la partie dans les Pyrénées), vraiment ennuyé (et pourtant c’est la partie dans laquelle tout basculera, ou la nature est la plus présente et qui incite/invite à la réflexion sur sa propre course dans la vie, ou sur les choix d’existence et les modes d’activité). Mais, les secrets et non-dits de famille – très peu pour moi, surtout si c’est dans une prose « au kilomètre » souvent sans ponctuation aussi belle qu’elle puisse être par moments.

Est-ce dû à moi, un trop plein ? Un manque de réceptivité ? Est-ce que j’ai dépassé le stade des questions posées ?

Je vais le garder sous le coude ce roman pour y revenir – à l’heure de la retraite. Peut-être je comprendrai mieux ?!

 

 

A propos lorenztradfin

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8 commentaires pour Pas convaincu

  1. Ah ah ah ! « froid comme un poulet picard », j’adore ! Bon, ces livres n’étaient pas dans mes envies, ça confirme ! 😀

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  2. CultURIEUSE dit :

    J’allais dire (rire?) pareil que Simone!
    Pas de roman en ce moment, mais la bio de Marcel Duchamp. C’est du lourd!

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  3. lorenztradfin dit :

    Commentaire de Béatrice sur FB : « Moi, j’ai bien aimé le Luc Lang que je ne connaissais pas du tout (la dernière partie un peu moins quand même) 🙂 invité d’ailleurs au PDL 2017 Bernhard ! »

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