Dystopie (?) islandaise

Je « sors » du nouveau livre de Eirikur Örn Norddahl (dont j’ai adoré  Illska)

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Une plongée dans un Islande (et un Monde) sous surveillance quasi-orwellienne acceptée par (quasiment) tous…. Ce n’est pas le pays des Trolls et des paysages magnifiques qu’il nous décrit mais un monde sous une cloche de/en verre.

Interrogations sur la création littéraire, sur une vie sans internet, l’analyse du « besoin » ( ?) de l’internaute de s’exprimer dans le www pour (avoir l’impression d’) exister (une amie m’a bien posé récemment la question pourquoi j’écrivais un blog…- vaste question !), le revenge-porn, les liens insondables liant deux personnes, l’acte sexuel sans amour (une histoire de « viandes qui claquent » ?), le système vidéo orwellien « SurVeillance » – et tout cela dans l’enveloppe d’une « farce noire » constitué de très court chapitres qui font avancer rapidement le récit…. et claquent …

Aki et Lenita avaient essayé l’échangisme. Avec un homme le vendredi et une femme le samedi. Un garçon et une fille. Parce que, après tout, enfin, pourquoi pas ?…( …)… Aki avait trouvé ça plutôt sympa de regarder Lenita faire l’amour avec le gars, même s’il avait ressenti une certaine gène et qu’il n’avait eu aucune envie d’y prendre part… en fin de compte, il n’avait pas non plus envie de sauter la fille et avait dû se forcer…(…). .. J’avais un peu l’impression de baiser un morceau de viande, avait-il confié à Lenita quand sa partenaire était partie. Mais les gens sont aussi des morceaux de viande, tu ne crois pas ? Aki avait gardé le silence. Les yeux fixés sur le plafond, il avait peu à peu fermé les paupières. Et qu’est-ce qu’on baise, sinon un morceau de viande, avait poursuivi Lenita. Aki n’avait pas répondu. On baise un autre être humain. Et on le fait en baisant le morceau de viande qui est son enveloppe corporelle. Les gens ne se réduisent pas à leur âme…(…) … On croirait (…) ….entendre parler un de tes livres, avait observé Aki…(…) (p. 48/49)

Dans ce monde que Norddahl nous décrit – chacun peut/ pourrait à chaque moment, selon toute poussée d’envie, observer, reluquer, suivre par caméra interposée (chaque maison en est pourvue d’une dizaine d’exemplaires, chaque rue, recoin du monde en sont équipés) la personne de son choix…. . On peut aussi  « poker » son partenaire de phase de vie avant de se donner à un(-e) autre….

150 pages denses, imprégnées par le noir de l’hiver islandais (le soleil se fait rare) – un groupuscule d’activistes / »révolutionnaires » plonge la vie/la société dans un noir complet (un virus informatique va interrompre la fourniture d’électricité – donc empêcher aussi l’utilisation de l’internet), les écrans s’éteignent, on est confronté à soi-même, sans le « regard » réel ou supposé de l’autre, fini la « transparence »… début du désordre.

Aki et Lenita ont accouché, dans leur souhait d’écrire chacun de son côté un livre qui fasse date et enrichisse « le monde des possibles » un livre qui est (ils vont s’interroger sur le comment est-ce possible ?)  le même, presque identique, sous le (même) titre « Ahmed », mais avec des tonalités et issues différents (et pour Lenita avec 10.000 mots de plus). Très vexés de se ressembler autant, le couple va entamer un divorce et entrer en compétition pour les prix littéraires islandais. Quand et ou commence le plagiat ? Réflexion sur la création, sur le nombrilisme, le monde éditorial aussi – et encore (bcp) plus. Notamment la « vie éternelle » sur le net :

Sur le Net, certaines choses tombaient dans l’oubli — toutes sortes de blogs sans intérêt, des sites regorgeant de poèmes, des articles traitant de l’actualité et des recettes de cuisine — mais les vidéos porno, elles, non seulement semblaient indestructibles, mais se multipliaient comme les têtes de l’hydre : on en coupait une et il en repoussait aussitôt deux autres. Lenita, Aki, le serveur et la gamine-langoustine continueraient de baiser sur le Net pour l’éternité, aussi longtemps que des gens vivraient en Islande, en Europe, sur la terre ferme, aussi longtemps que la Terre tournerait autour du Soleil, si ce nest plus encore. Ils ne pouvaient rien y changer, mais simplement espérer que le serveur et la langoustine ne le découvriraient jamais. (p.65)

Mon amie blogueuse Simone en parle très bien (c’est elle qui m’avait incité à lire « Illska – Le Mal »)

Ainsi Norðdahl nous livre un roman efficace et grinçant à souhait, mais tellement juste…On suivra l’avancée de l’écriture des romans respectifs du couple et de leur guerre de jalousie, la venue de l’obscurité au fil des coupures de courant et de la nuit polaire islandaise, jusqu’au dénouement. Il ne serait pas gentil de ma part de vous en dire plus que ça ( Allons ! Maintenons un peu de mystère, cachons deux ou trois choses ! ). Mais reste un livre totalement jubilatoire   lectriceencampagne – extrait de sa critique

Longue nouvelle dans le style inimitable de Norddahl (changement de ton constant – c’est presque grisant !) formidablement rendu par son traducteur, connu et bardé de prix pour ses « translations » de l’islandais….eric boury. Glaçant et jouissif.

 

A propos lorenztradfin

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3 commentaires pour Dystopie (?) islandaise

  1. je savais que ça t’intéresserait au minimum, que ça te plairait beaucoup au mieux ! Tout ce dont il parle est percutant, et oui oui oui, ça interroge ! Et puis bien sûr, il y a la manière, jamais pesante grâce à l’humour, un exercice brillant !. Quand je l’ai entendu par chez moi, le gaillard a annoncé 3 livres, non pas une trilogie mais un triptyque. Hâte de voir ce que sera le troisième volet !
    Plein de bises et merci du relais !

    Aimé par 2 personnes

  2. Asphodèle dit :

    Hi ! Tu es mûr pour les prochaines « Boréales » de Caen en 2017 toi ! Ils sont forts ces islandais ! 😉 Je note ce « tryptique », ça me changera d’Indridassön quand j’ai envie d’Islande ! 😉

    Aimé par 1 personne

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