Un petit tour de piste autour de 2 livres lus dans le cadre du jury Caillé de la Traduction.
« La Madrivore » de Roque Larraquy (Traduit de l’espagnol (Argentine) par Mélanie Gros-Balthazard- chez Christophe Luqin Editeur
Présentation de l’Éditeur :
La sève de la madrivore produit des larves animales microscopiques qui dévorent leur mère de l’intérieur en l‘asséchant complètement. Lorsqu’elles sont injectées dans un corps (vivant, ou mort), elles le consument entièrement, jusqu’à le faire disparaître. Les restes se dispersent et fécondent la terre, où le processus renaît.
Le roman se divise en deux récits qui se déroulent chacun à une période différente. Le premier a lieu au début du XXe siècle, plus exactement en 1907, dans la clinique de Temperley, dans la banlieue de Buenos Aires. Plusieurs personnages interviennent, des médecins et des infirmières. Toute cette équipe évolue sous les ordres d’un directeur de clinique plutôt barré, Mr Allomby. Ce dernier souhaite mener à terme une expérience exceptionnelle et absolument poétique à ses yeux, mais qui nous semble plutôt folle et cruelle. Le docteur Quintana nous fait le récit des événements (par la même occasion, il confesse sa folle attirance pour l’infirmière en chef, Menéndez) et l’escalade de ce que l’on pourrait qualifier d’horreur, l’expérience : une série de décapitations à la guillotine avec pour but de relever par écrit les dernières paroles prononcées par les têtes coupées au cours des neuf secondes de conscience qui suivent la décapitation. Mais pour cela, il faut trouver des cobayes humains. Ils vont donc se lancer dans une entreprise macabre à souhait : attirer des malades de cancer en phase terminale avec un nouveau traitement miraculeux, traitement qui bien entendu n’a aucun effet thérapeutique puisqu’il est totalement inactif. Chaque malade ayant préalablement donné son accord pour donner son corps, sa tête à la science.
Cette première partie se concentre essentiellement sur cette entreprise infernale dont le but est d’obtenir des témoignages de l’au-delà.
La deuxième partie prend la forme d’un récit qui se déroule en 2009. Il donne la parole à un artiste prodige de la bonne société de Buenos Aires. Il corrige la thèse d’une doctorante, Linda Carter, dont le sujet est sa vie et son oeuvre. On découvre la biographie commentée de ce personnage extrême qui dénonce l’esthétique sociale via une créativité macabre, organisant l’exposition de corps démembrés, mal formés, monstrueux. Il va même jusqu’à faire de son propre corps un objet d’expérimentation. http://www.christophelucquinediteur.fr/la-madrivore/
Drôle de livre de 240 pages en 2 parties (qui toutefois se rejoignent assez intelligemment). Larraquy navigue entre le burlesque – pour ne pas dire buñuelesque – kafkaïen nimbé d’une étrangeté noire qui pourtant rappelle certaines « essais cliniques » fait sous des dictatures.
Le lecteur se dit que le docteur qui relate est complètement barjo et pourtant son côté Buster Keaton le rend attachant.
« Le jour de l’entretien, le professionnel se présentera le front dégagé, sans excès de gomina. Il fera entrer le patient et lui proposera du thé ou du café. Le caractère inattendu d’une telle proposition, si éloignée des conventions habituelles d’une consultation médicale, le préparera à recevoir la terrible nouvelle : le sérum de Beard n’a pas fonctionné et le décès est imminent. Une fois la nouvelle mise sur le tapis, vous observerez un silence respectueux durant lequel le patient fera ce qu’il veut avec sa douleur. Le silence ne devra pas dépasser les deux minutes, moment où le médecin se lèvera de sa chaise, franchira la barrière du bureau pour venir taper sur l’épaule du patient avec une ou deux mains. Si le patient se montre réticent au contact physique, le médecin lui fera comprendre que ce geste de compassion n’est pas en option. » (p.62/63)
La 2e partie est une belle critique du monde de l’Art. Moins drôles mais aussi « noir » et fantastique.
Lecture déroutante mais avec une petite musique entêtante.
J’aime les petits Editeurs curieux et passionnés mais il aurait pu faire n travail un peu plus soigné dans la relecture.
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« La poste du Gothard ou les états d’âme d’une nation » Peter von Matt (traduit de l’allemand (Suisse) par Lionel Felchlin chez ZOE
http://www.editionszoe.ch/livre/la-poste-du-gothard-ou-les-etats-d-ame-d-une-nation
Présentation de l’Editeur :
La Poste du Gothard ou les états d’âme d’une nation relève autant de la critique littéraire que de l’histoire, avec en ouverture l’analyse d’une œuvre peinte : le célèbre tableau de la diligence du Gothard. On peut classer ce livre comme un essai engagé sur les rapports entre littérature et histoire d’une nation, avec pour exemple la Suisse du 18e au 21e siècle.
La dimension politique actuelle est présente tout au long du livre, soit l’utilisation par les forces politiques de la tension entre mythes des origines et progrès. Comment les écrivains illustrent cette tension, comment ils sont perçus, c’est le propos de von Matt.
Composé de chapitres originaux, d’articles et de conférences entièrement réécrits, ce livre a reçu le Goncourt suisse en 2012, le Schweizer Buchpreis.
Peter von Matt, né en 1937 près de Lucerne, a été pendant des décennies professeur de littérature allemande à l’université de Zurich. Il est une des personnalités marquantes du monde littéraire germanique, engagé dans la défense de nombreuses œuvres (président des fondations Elias Canetti et Max Frisch), très recherché dans toute l’Europe pour ses conférences, auteur de nombreux essais aussi étincelants qu’accessibles. Il a reçu en 2014 le Prix Goethe.
Un « plaisir intellectuel » ce livre – composé d’articles divers de cette personnalité du monde littéraire germanique.
Celui qui veut savoir un peu plus sur Gottfried Keller (cela m’a ramené à ma vie de collégien, mon prof’ d’allemand – Herr Heuer – nous a abreuvé des œuvres de Keller ahh la destruction de l’arbre ….), Max Frisch, Dürrenmatt, Robert Walser …. il y trouvera son compte. Les fanas de Wagner aussi (un texte sur le séjour de Wagner à Zürich ….).
Le recueil débute dans un chapitre (pour moi passionnant) sur « La Suisse entre origine et progrès » par une très belle description d’un tableau emblématique de l’art suisse du 19e (le tableau illustre selon Matt l’explosion/la destruction d’une idylle suisse…. thème aussi démontré par rapport au roman « Heidi » et sa vitalité de l’idylle helvétique)
Mais il parle aussi de pleins d’autres sujets : dont un intéressant article sur « L’allemand en suisse alémanique » (vie le « Hochdeutsch ») ou un traité sur le roman policier (Une esquisse sur le roman policier s’appuyant sur « Tod einer Ärztin – Mort d’une femme médecin » de Hansjörg Schneider ) ou aussi l’influence des suisses de l’extérieur (les émigrés) sur la démocratie et la philosophie de vie des Suisses.
Finalement une coïncidence d’avoir lu ce livre pendant l’ouverture du tunnel du même nom – Gottardo ) ? http://www.gottardo2016.ch/fr
Livre à déguster par petits bouts (« Häppchen ») et qui permet de comprendre certaines structures de pensées de chez nos voisins
Oula, il faudrait que je le lise pour en savoir plus sur le Rööschtigraabe.
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J’aime beaucoup les éditions C. Lucquin, La Madrivore m’a plu pour tout ce que tu en dis, bien barré, décalé, tout ce que j’aime
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