« Avec des yeux de merlan battu » (p. 231) je termine le livre-pavé que Philippe Jaenada a consacré à l’affaire de Pauline Dubuisson (accusée du meurtre de son amant – procès retentissant en 1953). Lu dans le cadre du Livre Inter
703 pages d’un style alerte, « détaché » et en effet « bienveillant » avec des apartés qui m’ont fait sourire au début, même fait rire à haute voix aussi, mais dont je me suis lassé au fil des pages (pour paraphraser : »la goutte de vinaigre qui a fait déborder le vase » (p. 243)
Toutefois, le récit est/était passionnant pour moi. P. Jaenada a fait des recherches immenses, analysé tous le procès-verbaux, a visité les prisons que Pauline a vu, a étudié tous les articles de journaux (du « Figaro » à « Détective »), lu la ribambelle de livres écrits (soit sur le fait-divers même ou inspirés par lui) et a visionné les œuvres cinématographiques aussi (En cas de malheur – de Claude Autan-Lara ou La vérité de HG Clouzot – avec B. Bardot, dont Jaenada fait une sorte de double de Pauline).
Je dirais que j’ai été scotché par la manière dans laquelle P. Jaenada nous brosse le portrait et/ou raconte l’enfance, la jeunesse de cette femme (dont je ne connaissais même pas le nom – je ne suis pas fan d’émissions du genre « Faites entrer l’accusé »). Fascinant la plongée dans la période d’avant-guerre (2e guerre mondiale), très fort la description de la période sous l’occupation allemande et l’analyse fine et étayée du comportement de Pauline qui lors de l’Epuration après la guerre sera tondue (et – peut-être – violée).
Le Monde en parle ainsi de la genèse et la manière ce travail de fourmis :
« Après ces premières lectures, Jaenada s’attelle à ses propres recherches. Il consulte le dossier d’instruction et les archives judiciaires, et prend alors conscience que l’histoire est beaucoup plus compliquée que prévu ; que, lors du procès retentissant de 1953, de nombreux témoignages et éléments ont été déformés ou écartés. La quête devient obsessionnelle pour l’écrivain à la recherche de faits concernant Pauline, décidé à raconter sa vie, de sa naissance à sa mort, par suicide, à Essaouira (Maroc) – condamnée à perpétuité, elle avait été libérée en 1959, avant de reprendre ses études de médecine ; la sortie du film La Vérité, en remettant son histoire en pleine lumière, l’avait contrainte à partir s’installer au Maroc, où elle se tua après avoir été de nouveau rattrapée par son affaire. »
L’auteur se fabrique ensuite un document retraçant chronologiquement cette existence. Il garde en permanence sous les yeux ces « 390 feuillets » de notes télégraphiques, tandis qu’il écrit son livre sur un autre fichier. Ne pas croire, cependant, que La Petite Femelle, avec ses 700 pages, soit simplement la version un peu rédigée de ce document de travail. Philippe Jaenada y relate les faits, procède avec prudence, expose ses scrupules, avançant dans son livre comme à tâtons. Ainsi qu’il l’écrit : « Je ne la regarde pas d’un œil grave, noir comme tant d’autres, elle a eu sa dose : mais légèrement, le plus légèrement possible. Avec un mélange de bienveillance et de détachement (…). » (Le Monde 10.9.2015)
Pour avoir une idée du style de P.J. :
« ….les canadiens montent le long de la côte, laissant derrière eux les Dunqerquois sacrifiés par stratégie , coincés dans une forteresse qui va y gagner un surnom peu rassurant, « le front oublié » (« hé oh ? Il y a quelqu’un ? »)
L’inquiet colonel Wittstatt se méfie (Qu’est-ce que c’est que cette ruse ?) et achève de faire miner toute l’agglomération. Sortir de chez soi devient un acte héroïque (Pauline ne peut plus faire du cheval, tant pis.), mais la vie se complique aussi pour les soldats de la Wehrmacht, qui commencent à déprimer sec et dont une bonne partie aurait préféré qu’on en finisse (ils n’ont jamais juré à personne de tenir jusqu’à la mort, eux) , que ces ramollos de Canadiens fassent leur boulot et qu’ils puissent se constituer tranquillement prisonniers, comme il se doit quand tout est foutu. Le 19 septembre, Lucien Beurey écrit dans son cahier : Hier…. « (p. 139/140)
S’ajoutent à cela – comme l’indique Le Monde – des apartés « privés » (Jaenada appelle en témoin ses enfants, sa femme, qui, p.ex. il y a une dizaine d’années, comme Pauline, a passé une nuit chez un autre (son ex) – et rentre le sperme encore sur les seins – dixit (!) … ou avec laquelle il reconstitue la scène du meurtre….Il nous n’épargne pas non plus une soirée de beuveries….
Les intitulés des chapitres (46) – à titre d’exemple : Normale, volontaire parfois ; Instable ; Douce et aimante ; La tête froide ; Ravageuse ; Vive, intelligente et belle….. illustrent parfaitement les images que cette jeune femme a pu faire surgir chez quantités d’hommes et femmes de l’époque (et plus tard).
Le crime aura lieu vers la page 400 – suivent ensuite les journées de procès …et Jaenada arrive à démontrer (un régal pour tout traducteur et amoureux de la langue) comment des procès-verbaux ont été rédigé et comment leur contenus ont été exploité par les avocats (faits écartés) …Ainsi la « retranscription » des dires d’ observateurs (ou de journalistes) d’une scène banale entre Pauline et un soldat allemand : « …elle a été surprise dans un bas-fonds de square, à l’âge de quatorze ans, en compagnie d’un soldat allemand. » Jaenada décortique cette phrase, démontre la charge contenue dans « bas-fonds » (ce n’est en fait même pas un fossé…au jugé des photos du dit parc)…tout cela devient en 1950 « A quatorze ans, un gardien de parc…la surprend dans les bras d’un soldat allemand » et plus tard encore « Un gardien de square l’a trouvée, dit-on, occupée à faire l’amour avec un matelot de dix-neuf balais. » (chapitre 8 « en scabreuse position »).
Ainsi Philippe Jaenada nous offre sur un présentoir, après avoir épluché tant de sources (docu’ d’origine, archives, rapports, procès-verbaux) que quasiment tout ce qui a été écrit et dit sur Pauline étaient soit des mensonges ou des entorses à la vérité pour le théâtre qu’était le procès et la scène des médias de l’époque….
On s’attache à cette femme (peut-être en avance sur son temps) qui ne voulait pas se marier avant d’avoir fini ses études de médecine, cette femme dont le procès a influencé le parcours professionnel de Vergès, dont le fait divers a impressionné P. Modiano et tant d’autres….
Un beau roman (alerte) – mais – à mon goût trop long et un peu trop relâché stylistiquement – et trop émaillé d’apartés qui confinent au procédé technique. Je ne pense pas qu’il se trouvera dans le Top 3 du Livre Inter, mais je ne regrette pas de l’avoir lu.
je n’ai lu Jaenada qu’une ou deux fois et les parenthèses et tirets m’avaient plu, mais je crains que ça devienne un peu trop sa marque de fabrique, que ça me lasse.
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tu vois, pour moi c’est le premier de ses livres que j’ai lu et à la longue cela m’a lassé un peu….
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