Je sors d’un voyage en Alaska.
C’est Catherine Poulain – elle vit aujourd’hui (selon la 4e de couverture de son 1er roman : « Le grand marin » ) – entre les Alpes de Haute-Provence (bergère) et le Médoc (ouvrière viticole) – qui m’y a emmené naviguer en 368 pages sur des bateaux de pêche.
Livre étonnant, écrit/vécu par un petit bout de femme étonnante qui a tout plaqué à Manosque-Les-Plateaux (on ne saura pas exactement pourquoi, à part un : »je ne veux plus mourir d’ennui, de bière, d’une balle perdue » (p.9) & une explication plus angoissante p. 310 & parfois la question sans réponse des hommes : « Are you a runaway? » ) pour faire la pêche (au crabe, au saumon, au flétan) en Alaska.
Roman-récit en deux parties – une partie davantage centrée sur le(s conditions de) travail (Le cœur des flétans) – une autre (à partir de la page 231) sous le signe du Grand Marin (Jude), l’homme qui lui demandera souvent « tell me a story » et avec lequel elle formera un couple éphémère. « Il a ses larges mains autour de ma figure. Je regarde, dans l’éclat blanc et cru du lampadaire, ses traits gonflés, sa peau cuivrée et grumeleuse, la gemme humide de ses yeux. Je pense qu’il est beau. Je pense qu’il est le plus beau, le plus grand, le plus brûlant. Il voudrait que je l’aime encore. Jamais il sera rassasié d’amour, de sexe, d’alcool. » (p. 284-285).
En effet, l’alcool on l’écluse bien dans ces contrées, permettant d’oublier le travail dur sur les bateaux. Six-packs, vodka… elle aussi en boit beaucoup.
Après un petit moment d’adaptation aux bollards, équipets, sennes, senners/seiners et autres toulines, le lecteur que je suis (parfois à la recherche d’une bouffée d’air frais) commence à vivre avec ce moineau de femme qui se révélera être plus forte parfois que les hommes d’une rudesse exemplaire.
« … on ne peut pas expliquer à ceux qui n’ont rien vu de cela – oui -, les grands tenders dans la nuit, les énormes bateaux d’acier, avec leurs noms de vie de mort et de saga….leurs moteurs vrombissants, les treuils qui grincent, des hommes orange qui s’acharnent dans le vent, visage ruisselant sous le feu des lampes à sodium, film étrange et bouleversant se reflétant sur les eaux noires. Non on ne peut pas le raconter. Qui comprendrait ? » (p. 294)
En effet, le lecteur, tranquillement assis dans son fauteuil ou calé dans son lit douillet, « bravant » parfois la mer en petit bateau autour d’une île, a parfois un peu de mal à comprendre ce qui attire toutes ces personnes – et pas seulement les pêcheurs – dans ce coin du monde (les hommes pour certains jobs payé dix dollars/heure – pour elle ce sera 6 dollars (!)). Vie de dingue, travail parfois non-stop pendant 48 heures, empoisonnement, blessures, tétanos…. une nature déchaînée avec des vagues d’une hauteur impressionnante, que je n’aime admirer que sur photo…
On écoute la musique de Tom – C. Poulain écrit comme Tom Waits chante : avec les tripes – et cela est en soi remarquable. Les crises géopolitiques sont à des km-lumières de ce microcosme déconnecté de tout ça – sauf pour les prix au kg des poissons (soumis aux fluctuations du marche (mondial).
Je regarderai maintenant mes poissons dans l’assiette (pour moi c’est surtout du dos de cabillaud) autrement . Par ailleurs, je pensais toujours que les Flétans sont plutôt petits. Que nenni…quand Lili avait du mal avec des poissons plus grands qu’elle j’ai cherché dans le net – en effet…. je comprends pourquoi elle n’arrivais pas toujours à les hisser sur une table pour les dépecer.
http://iriepike.blogspot.fr/2010/10/peche-du-fletan-aux-leurres_21.html
A propos dépecer … les vieilles croyances, peurs et mythes continuent de survivre sur la mer… ainsi quand un bateau sur lequel Lili se trouve commence à tanguer dangereusement : « Un instant je pense que nous avons trop pêché, que la mer se fâche et qu’il faudra s’arrêter. Ne pas tuer davantage. J’ai eu peur soudain…. » (p. 344)
Un livre déroutant, fascinant, peut-être un peu répétitif,mais entrelardé d’envolées à couper le souffle ( les pages 351 à 354 – et la tempête – sont d’une beauté conradienne) et un style qui me semble aussi instinctif que Lili. Parfois des passages comme tirés d’un Hemingway (phrases courtes, ellipses, ton sec, factuel laissant percevoir entre les lignes un monde intérieur plus vaste).
« Un homme s’assied à mes côtés. Je ne l’ai pas entendu approcher. Il pose un pack de bières entre nous. – T’en veux une ? Je relève les yeux, l’homme me dévisage. Les yeux sombres, légèrement bridés, sont comme comme deux poissons humides, ses cheveux noirs des algues. – Non, merci. – T’as pas une cigarette ? Je lui tends le paquet. -D’ où tu viens ? Je fais un vague signe en direction de la jetée, l’embarcadère blanc aveuglant de soleil, l’eau qui scintille. – Le ferry… – Tu vas où ? – Anchorage….je ne sais pas. – Are you a runaway ?
Le grand marin m’a rejointe. Il lance un regard assassin à mon voisin. L’Indien aux yeux de poisson s’éloigne avec la bière. » … (p. 253/254)
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sur ma liste, je l’ai écoutée à la radio, incroyable vie
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sachant que le livre ne parle « que » d’une seule saison de pêche…. et Catherine devient Lili….
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Encore du froid et du poisson… je le lirai cet été!
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Je lis peu de biographie mais j’avoue que celle-ci m’intrigue et ta chronique renforce encore ma curiosité. Alors je vais peut-être me laisser tenter cet été. Merci 🙂
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Sachant que ce n’est pas une biographie – c’est (certainement ?) un récit auto-biographique romancée d’une période de sa vie – à aucun moment on a impression de lire une biographie….
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Alors ça devient irrésistible 🙂
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