Constance au pays du leader suprême

Enfin une bombe humouresque et fantaisiste sous couvert de faux roman d’espionnage à digressions. C’est Jean Echenoz* qui nous l’offre avec son « Envoyée spéciale » et je lui en sais gré.

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* »Quand une publication lui demanda sa biographie, il rédigea celle-ci : « Jean Echenoz, né le 4 août 1946 à Valenciennes. Études de chimie organique à Lille. Études de contrebasse à Metz. Assez bon nageur. » Il est en fait né le 26 décembre 1947 à Orange. Quant au reste… Ce dont on est sûr : depuis son premier roman « Le Méridien de Greenwich », paru en 1979 aux éditions de Minuit (sa maison de toujours), il a publié une quinzaine d’ouvrages, remportant en 1999 le prix Goncourt pour « Je m’en vais ». (magazine-litteraire.com)

Par ailleurs, ceci est ma première « LC » (pour « Lecture commune ») à l’invitation d’une amie blogueuse (Philisine Cave http://jemelivre.blogspot.fr) que je remercie pour cet honneur. Ainsi, pour la lecture d’un blog (le mien) vous obtenez l’accès à deux autres approches – critiques du même livre (et cela gratuitement !) :

http://aleslire.hautetfort.com/
http://jemelivre.blogspot.fr/

Jean Echenoz j’en ai lu un peu dans le passé (« Je m’en vais », « Courir » et « Equipée malaise »), mais de mémoire de lecteur, il me semble que je ne me suis pas amusé autant qu’avec son dernier-né.

Ce roman c’est le bouquet, le pompon – une farandole de registres de langue, agrémenté d’un zeste d’érudition et d’une pointe de familiarité tout en proposant un travail farpaitement chiadé.

Comme souvent, l’histoire (ou la trame) peut tenir en quelques phrases, mais on hésite à la résumer, d’emblée conscient de ce qui fait jubiler le lecteur, son sel (peut-être aussi son miel, gingembre ou tout autre condiment exotique), ce sont les apartés, les digressions, les détours que prend l’histoire qui avance par hoquets ou ellipses….

On débute illico presto par une action de manipulation organisée par un service secret (dont le patron dit, c’est la première phrase du livre : « Je veux une femme ») … . Ainsi, une équipe d’hommes va enlever (en persiflant le film « Nikita » de L. Besson avec quelques accents de « OSS 117 ») le joli brin de femme qu’est Constance, en bisbille avec son mari Lou Tausk (compositeur en manque d’inspiration)…. Pour brouiller les pistes on va essayer d’extorquer de l’argent au mari (qui n’en a cure – suite aux conseils de son avocat de beau frère Hubert, dont la secrétaire Nadine sera tellement bandante que Lou n’aura qu’une idée…. ) … et pendant ce temps  Constance va succomber au syndrome de Stockholm, habiter une éolienne et …..

J’arrête là, et nous ne sommes qu’à la page 132 sur les 315 pages…. et sommes ballottés entre le 17e arr. de Paris, la Creuse et plus tard la Corée du Nord (où Constance va essayer de s’approcher d’un haut dignitaire coréen Gang), nous oscillons entre les divers protagonistes comme p.ex. Clément Pognel et Marie-Odile Zwang*, personnages qui ont tous – souvent directement parfois en sous-jacent un lien l’un avec l’autre…. ….., c’est un vrai feu d’artifice de conteur, avec un narrateur qui nous fait participer comme il veut, avec ses désormais fameux « on » et « nous » (pour mieux nous ferrer et/ou impliquer) …

* »Voici maintenant plus d’un mois que Clément Pognel partageait la vie de Marie-Odile Zwang et rien ne se passait comment on s’y serait attendu. L’un ayant pu nous paraître une épave aboulique, l’autre une implacable harpie, on ne pouvait guère envisager d’autre existence commune à ces deux – là que sur un mode SM élémentaire, quotidien scandé d’insultes et d’ecchymoses, œil au beurre noir et dents brisées, Royal canin en plat unique suivi d’une pincée de Destop dans le café. Or pas du tout, vraiment pas. out » (p.99) 

ou

« Gang, d’abord, s’est jeté sur elle, ce qui nous a déjà pris un bon moment. Puis une fois qu’on a repris son souffle, il a proposé d’aller faire un tour en boîte« . (p. 239)

Par ailleurs, les rencontres charnelles ne sont pas absents du tout parfois avec « du Mahler bas bruit » comme témoigne ce passage :

 » Nadine Alcover était bien gauchère mais, contrairement à ses dires, fort habile de ses mains. On sait de toute façon que le sexe est ambidextre, et là réside un de ses avantages : c’est avec la même ingéniosité que droitiers et droitières, gauchères et gauchers peuvent indifféremment stimuler de l’une ou l’autre main tout organe sexuel qui se présente. Les choses se sont donc longuement et parfaitement déroulées, à plusieurs reprises et, du point de vue du voisinage, la machine-outil [c’est une perceuse, nda] a au moins présenté cet avantage de couvrir, durant toute cette action, les témoignages de satisfaction produits par Nadine Alcover.  » (p. 119)

Par ailleurs TOUT le passage autour de la perceuse est à se tordre :

p.114 : « nuisance commune, très éprouvante pour les voisins mais généralement brève, on lève chaque fois les yeux au ciel puis c’est fini. Celle-ci, non. Son ronflement, si puissant qu’on pouvait le soupçonner d’être moins issu d’une perceuse que d’une machine-outil génétiquement manipulée, enfant naturel de marteau-piqueur et de bulldozer avec des chromosomes d’une scie-sauteuse, son vrombissement…. » ….

Seul livre aussi ou vous pouvez trouver des mots (pour moi) incongrues à la pelle ronde ou à la pelle poussoir tel que « aboulique », « ronfloter », « tégument diaphane » « le rason polygame », « l’holothurie » et autres « Elephas maximus » ou un traité sur le »syndrome de la Creuse » (fusion des syndromes de Stockholm et de Lima …. mais, comme le dit à un moment le narrateur, « on se fatigue vite d’énumérer » – il y a quasiment toutes les deux pages un passage qu’on aimerait citer…..

Lecteur pragmatique cherchant une écriture-lecture droite, sans apartés, digressions et autres parenthèses, passez votre chemin. Les autres vous allez jouir (sans entrave) de ce faux labyrinthe d’une architecture impeccable, tirée, tracée au cordeau, dans lequel on aime se perdre…. Je suis plein d’admiration !

 

A propos lorenztradfin

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5 commentaires pour Constance au pays du leader suprême

  1. CultURIEUSE dit :

    J’ai hésité…je n’hésite plus! Allez, j’achète un livre d’un auteur français pour une fois!

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  2. L’enthousiasme est au rendez-vous 😀

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  3. Yv dit :

    Jean Echenoz est un écrivain que j’aime beaucoup, ce roman fera sûrement partie de mes prochaines lectures, surtout si tu es plein d’admiration, je crois que je le serai itou.

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  5. Ping : Envoyée spéciale, Jean Echenoz – Aleslire

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