L’homme et les larmes

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Dany Laferrière  a une sœur; je l’ai reconnu  : c’est Fabienne Kanor, martiniquaise.

L’héroïne de ce roman est écrivaine. Un homme l’a quitté et elle se pose pleine de questions : Comment aimer, comment (et quoi) écrire, comment vivre-exister dans une société qui ne veut (parfois) pas d’elle, dans laquelle elle cherche sa place…. Dans ces interrogations, des problèmes matérielles aussi (on sait que les auteurs ne roulent pas toujours sur l’or – sauf si on écrit comme Miss Gavalda (et elle ne veut pas copier son style ni ses sujets)… Temps donc aussi pour se remémorer les hommes qui sont passés dans sa vie, une histoire d’amour aussi (qui l’avait emmené en Afrique – à la « source de ses ancêtres »).

Il y’a une force inouïe dans cette femme (on ne sait ce qui est autobiographique) en quête d’absolu, en lutte contre sa mère, se bataillant contre les hommes qui partent, et affûtant une écriture forte à défaut d’être léchée. Elle est plutôt rêche, mais on sent que c’est étudié (dans ce genre là proche de Virginie Despentes) – et qu’elle pourrait écrire autrement aussi.

On passe des lieux de mémoire liés à la traite négrière, aux Caméricains ou Afro-descendants (soit des Afro-Africains qui, après  analyse  de leur ADN, se sont découvert des origines camerounaises (comme p.ex. Spike Lee, Qunicy Jones), nous croisons la Pulwar (Pulvar), la journaliste métissé qui a réussie, un souvenir du film « Paradis : Amour » (U. Seidl – repassé il y a deux semaines sur ARTE – toujours aussi cruel), « Martha » de Fassbinder, Maryse Condé, Chester Himes,  Francesca-Meryl Streep (Bridges of Madison), Maya Angelou  (https://fr.wikipedia.org/wiki/Maya_Angelou) qu’elle va prendre comme sujet de son « nouveau » roman, Le Clezio, G. Cabrera Infante, M. Duras….et enfin souvent Aimé Césaire https://fr.wikipedia.org/wiki/Aim%C3%A9_C%C3%A9saire

« ….Ses yeux qui voient la nuit sucer le jour à petites lampées, nuit fraîche, puis bleue, plus obscure, puis rien. Je ne vois brusquement plus la ville. Plus rien sur min écran? Plus d’inspiration….. » (p. 182)

DSC_0540-ancien (Chartreuse 2.2016)

Le livre laisse beaucoup de place à la réflexion sur l’écriture, sur la survie dans un monde de l’édition dure (drôles ses conversations avec son éditeur – des véritables claques), elle veut/doit « écrire un roman francophone à succès » (p. 46).

Contrairement à Camille Laurens elle stipule :

« C’est physique, écrire. Façonner, enduire, pétrir, balayer, coffrer, peindre, vitrifier, agrandir, creuser, ajuster, équiper, cimenter, bâtir, sceller, assembler, échafauder, élever, forger, chauffer, éclairer, meubler. C’est rester seule, aussi. L’amour ne fait pas écrire. On cesse d’écrire quand on le trouve. On n’écrit plus lorsqu’on le perd. Je n’aurais jamais dû tomber amoureuse d’un homme en particulier…..  » (p. 114)

Quant à l’amour, omniprésente elle se met aussi bien dans la peau de Maya Angelou :

« Mettons donc qu’elle ne se refuse pas au désir, Maya (le sien, celui du large d’épaules et celui de mon éditeur), qu’elle cesse de bavasser pour s’engager dans un coït endiablé (le dictionnaire des synonymes propose aussi acharné, ardent, bouillonnant, débridé, déchaîne, démoniaque….effréné, enragé….pétulant, terrible), que son plaisir à peu peu près pris, elle se rhabille et descende faire un tour en ville. (p. 180/181) …)

qu’elle n’exprime le regard porté sur ses propres désirs :

 » Au lit, je ne suis pas insensible à l’autorité charismatique de certains hommes. Un partenaire conciliant et serviable ne l’emportera jamais sur un amant capable de feuler sans sourciller : « Déshabille-toi, baisse-toi, retourne-toi, viens là. » (…) Je rends hommage au mâle fondamental, apte à, qualifié et né pour vous faire mouiller dans votre culotte rien qu’à vous téléphonant à 2h40 du matin. » (page 232) – et c’est elle encore qui dit quelques pages avant « …je tente de me remémorer les coïts les plus torrides de mon parcours sexuel. Il n’y en a aucun, si je dois être honnête. Pas même un sur dix, même pas trois sur quarante. Dans la trâlée d’amants que mon corps a vus passer, aucun ne m’a procuré le frisson, celui que j’avais, gamine, devant les grands qui s’embrassaient. » (p.90)

Désenchantement :

« Contrairement à ce qu’ils se figurent et à ce qu’ils désirent nous faire avaler, les hommes sont les répliques de leurs épouses. Reniflez-les, écoutez-les, examinez-les et vous verrez poindre leur femme, vous saurez dans quelle farine celle-là les a roulés. » (p. 195) ou elle pense aussi à « Passion simple » de Annie Ernaux, et dont elle dit « J’ai haï la femme-chienne d’Ernaux plus fort que son lâche d’homme. Et je l’ai éjectée des romans que j’ai écrits. Aucune de mes héroïnes ne subit l’amour et ne tombe dans l’engrenage de la douleur et des humiliations. » (p. 196)

Et sur le quinqua – une tirade de deux pages 127-128 dont voici un extrait : « … Il privilégiera les ampoules à faible voltage aptes à mettre en valeur ses traits d’homme d’expérience (et pas de ses angoisses), et à retarder le passage à l’acte. Car contrairement à la légende et à ce que se figurent les femmes de moins de trente ans, le quinqua n’aime pas coucher. S’il s’y aventure encore, c’est pour elle, pour son plaisir à elle. Le sien étant trop branlant, trop transitoire, trop obscur, trop discontinu, trop bizarre. Traumatisé par sa potentielle impuissance et les sexes-cactus des femmes, le quinqua est un petit héros confronté à un dilemme shakespearien : faire ou ne pas faire l’amour. Etre ou de ne plus être un homme ? »

258 pages qui se lisent rapidement et laissent un petit parfum de souffre capiteux – je ne sais si ce qu’elle écrit est bien reçu par les féministes, mais moi, l’homme (sexa’) j’y trouve – à part les réflexions sur la « négritude », le métissage (traités autrement plus poétiquement chez Toni Morrison) – des passages lourds sur le rapport hommes-femmes et leur interdépendance couplés d’une recherche avide et parfois désespérée de liberté et de réalisation de soi.

Fabienne Kanor a été récompensée à La Havane, à Cuba, du prix littéraire Carbet de la Caraïbe et du Tout-Monde, pour son roman « Faire l’aventure ».

A propos lorenztradfin

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