La danse de la chatte

Nathalie R. sera contente que je continue à explorer davantage le monde autour du titre du premier livre de V. Despentes – et j’ai bien dû chercher dans le Dictionnaire une pléthore de mots……..

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C’est que j’ai lu l’étonnant premier roman de Ismaël Jude  » Dancing with myself » qui ne tourne pas du tout « autour du pole », en disséquant la passion d’un jeune voyeur. Livre dans la liste finale (5 livres) du Prix Flore 2014 – et « même » Le Clavier Cannibal (Claro) – écrit le 3 décembre : « ….c’est un livre qui parle véritablement de sexe de façon véritablement transgressive…. »

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En effet, l’auteur attrape les mots en plein vol pour les déposer sur une table afin de les disséquer et remâcher plus tard : « …..Je tringle à tout va, nique, lime, copule, fornique, je connais bibliquement, je m’unis, m’accouple, m’envoie en l’air, tire un coup plus souvent qu’à mon tour, je fais crac crac, des galipettes, des câlins et des siestes crapuleuses … » (p. 101/102 – et ce n’est qu’un tiers de la litanie….)

La 4e de couverture : 

« Je fais tout pour m’améliorer. Pour me séparer de certains de mes vices, j’en adopte de nouveaux, plus élaborés. C’est la seule méthode dont on dispose.  » 

Dancing with myself explore les émois érotiques d’un petit garçon attiré par les choses cachées et les mots inconnus, puis dévoile les rituels inventifs de ses obsessions d’adulte. À l’enfance rurale passée dans le dancing de ses parents succède une vie parisienne solitaire, soumise à l’omniprésence féminine. Du voyeurisme considéré comme un des beaux-arts de l’existence, aux risques et périls du jeune homme indiscret.

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Photos de Christian Mercier

En effet, le narrateur – que le lecteur accompagnera de sa prime enfance jusqu’à l’âge adulte (avec de grands sauts dans le temps) ne se satisfait pas des mots élimés, mille fois utilisés, pour trouver un sens à l’énigme féminin.  Il sens très tôt que les filles ont un petit animal en bas du ventre, communément appelée « une chatte ».  – cette recherche effectuée par l’enfant est la partie la plus « drôle » du livre – drôlerie qui naît aussi du fait que le lecteur sait ce que c’est et jubile en parcourant les explications que le garçon trouve pour ce mystère).  Le garçon a entendu qu’il y a un chat, pourtant il n’ a encore jamais vu les poils de ce chat, il la cherche cette bête, se demande où elle veut bien se cacher….. puisqu’il l’entend ronronner bien parfois chez sa cousine Mina p.ex. qui dort dans la même chambre que lui, quand il l’entend la sortir la petite bête, …. » ….j‘entends un frottement. Je ne bouge plus pour mieux écouter. C’est un geste humecté qui rappelle le bruit que fait ma mère lorsqu’elle presse une orange le matin, ou lorsque je tripote mon bifteck parce que je ne peux rien avaler. J’imagine que Mina se gratte l’œil avec acharnement. Elle a dû pleurer. Mais le gratouillis s’amplifie. C’est une chose moudasse qui s’agite, un mollusque, l’œil gluant d’une pieuvre, une méduse géante, réveillé au beau milieu de la nuit, sortie de la rivière…. (p.28).  

albert-rudomine-untitled-l_origine-du-monde-1930-c-albert-rudomine    (Albert Rudomine – Origine du monde – 1930)

(extrait de l’excellent blog :  https://dantebea.com/2014/04/10/albert-rudomine-2/ )

Le narrateur va remplir des carnets avec des vocables et surtout aussi des dessins – transformant ce qu’il a vu en plantes ou transformant des plantes pour une représentation de « la chose »  « Les vocables des petits fermiers « chatte », pire « moule », cet indigne lexique animalier me donne la chair de poule. Au CDI du collège, je puise des mots nouveaux dans l’Encyclopédie de botanique illustrée : Gyniandria polygonia, Amorphophallus bunifer…… je chemine, bourdonnant de plaisir, avec les mouches bleues à travers la zone de poils hirsutes qui mène à la chambre florale d’Hélicodiceros muscivorus. Les mots Inflorescence, Carpelle, Aracée, Follicule, Spadice accompagnent mes reproductions minutieuses des croquis et de la belle écriture des savants naturalistes de l’ancien temps. La prof de sciences-nat me trouve bien studieux, elle me félicite…. Elle ne sait pas quelle tempête cache cette passion muette pour la botanique. (p. 39)

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Je suis sorti « indemne », fasciné par la recherche du mot/des mots (une joie de chercher dans le dictionnaire) , mais en me disant parfois : « too much » et un peu vide. Il y a une sorte de complaisance suffocante et dérangeante dans cette lecture des 151 pages.

Le Monde avait consacré un tiers d’une page d’une de ses pages littéraires (10.9.2014) à ce livre et d’autres aiment beaucoup (https://anneelisa.wordpress.com/2014/08/26/dancing-with-myself-dismael-jude/)

Cette plongée dans les labyrinthes d’un voyeur vaut le détour – et fait sortir de l’autoroute du tout venant littéraire, mais n’est certainement à mettre dans les mains de tout le monde (et pour une fois je comprends), puisque je dois avouer aussi que j’ai dû parfois « prendre l’air ».

A propos lorenztradfin

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7 commentaires pour La danse de la chatte

  1. Bel exercice de vocabulaire 😄 Mais comme je suis plutôt Garfield …..

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  2. culturieuse dit :

    Hors-norme! intéressant de s’attacher aux mystères de l’organe féminin. Son alter ego (!) masculin n’en a pas tellement…

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    • lorenztradfin dit :

      Hors- & é-norme parfois. Le Monde a toutefois réussi dans son article de « classer » trois auteurs dans cette catégorie hors-sentiers-battus : « Ils ont l’élégance d’en rire, tout en prenant le sujet très au sérieux. Et s’ils n’y vont pas par quatre chemins pour évoquer la place du sexe dans leurs vies, les narrateurs et les personnages de Sexes, de Daniel Foucard, et du roman de Boris Le Roy, Du sexe, tout comme le protagoniste voyeur et solitaire de Dancing With ­Myself, premier roman d’Ismaël Jude, réussissent, chacun à leur manière, à faire de la sexualité non le sujet auquel tout se réduit, mais celui par lequel tout commence, tout avance et tout peut changer. Si leur langue est crue, ces romans ne sont pourtant jamais trash. On y copule et on s’y masturbe. Parfois, on s’aime. Toujours, on cherche ce qui se dit ou tente de se dire, pour l’individu ou pour la collectivité, dans les rapports entre les sexes et dans la sexualité
      http://www.lemonde.fr/livres/article/2014/09/10/le-sexe-n-est-pas-tout_4485232_3260.html#ZQFDCcpPVU3475E6.99

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  3. culturieuse dit :

    Et ces orchidées en sont une superbe métaphore!

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