Il y a une quinzaine d’années j’avais lu « Baise-moi« , le premier livre de Virginie Despentes, et n’avais plus re-ouvert un autre livre d’elle. Titillé par quelques remarques de lectrices autour de moi (« il faut que tu lises « Apocalypse bébé » « ) et des critiques bienveillantes dans la presse pour le tome I de « Vernon Subutex » (le début d’un triptyque), je me suis lancé à l’assaut des 397 pages Grasset-iennes, et sors conquis de la lecture.
Le sujet – pour faire court : Vernon Subutex, « quasi-quinquagénaire », a dû fermer son magasin de disques (Revolver – dans le contexte du « tsunami Napster ») et se trouve en début du roman radié du RSA, après avoir bossé par ci-par-là….. Il va être expulsé de son appart (Alex Bleach, chanteur rock – populaire – qui lui a toujours payé ses loyers meurt – dans sa baignoire). Il va crécher à gauche et à droite – grâce à FB il contacte plein d' »anciens » – jusqu’à se trouver dans la rue – sans pour autant perdre son état « touché-mais pas coulé » …. C’est qu’il ne sais pas qu’il est re-cherché par plusieurs personnes (puisqu’il est en possession d’un enregistrement vidéo que Bleach avait réalisé chez lui complètement stoned.
Très rock’n roll, plein de musique (hard) qui ne me dit souvent rien (Rudimentary Peni, Minor Threat, Bad Brains ….) et n’est pas mon genre non plus – ce premier tome accompagne Vernon et toute une galerie de personnages – chacun en monologue, parfois avec des ellipses temporaires pour avancer dans le temps, parfois juste en changement de perspective (de point de vue) d’une situation décrite dans les pages par un autre protagoniste
– la galerie : les logeuses (ahh ces Lydia et Emilie), la Hyène (le personnage qu’on retrouve par ailleurs dans « Apocalypse Bébé »), un scénariste de TV (Xavier) & sa mère, un producteur de TV, Loïc…
« Emilie est devenue la fille qui n’a pas de copain à présenter, la meuf gentiment larguée qui vient toujours seule aux soirées du boulot, celle qui a plein de copines parce qu’elle est rassurante, d’être à ce point de la lose. Maintenant, c’est fait, elle ne recommencera pas sa jeunesse et c’est comme ça qu’elle aura passée, à attendre qu’un connard l’appelle ou ne l’appelle pas, mente à sa femme pour passer la voir, fasse d’elle sa meuf clando et qu’elle soit incapable d’arrêter l’engrenage et passer à autre chose, elle ne sait pas quoi faire de la peine que ça lui inspire. » (p.54)
Kaléidoscope de notre société – un brin poussé à la limite de la caricature, mais souvent juste, précis, touchant là ou ça fait mal. Les critiques disent d’elle qu’elle écrit « sa Comédie Humaine » du XXIe siècle ….
« …et, ses gens-là, quand il faut octroyer un logement HLM, ont le cœur sur la main pour toujours faire passer les étrangers avant le dossier de sa mère, les étrangers, et les potes qui ont le bras long. Pour les gens comme lui, c’est toujours on verra après-demain. Après que les bobos se sont payés sur la bête et ne laissent rien aux autres, mais en gardant l’impression d’être des généreux et des beaux esprits, aux frais des abrutis qui bossent vraiment et dont personne ne se soucie, jamais. Des mutuelles qui coûtent la peau du cul. Des RER qui marchent un jour sur deux et pour lesquels il faut encore payer. Toujours payer. La viande dégueulasse, on pensait qu’elle avait un gout pourri parce qu’elle était hallal mais finalement c’est parce que c’est du vieux cheval défoncé aux hormones ou du poulet qui a chopé la rage mais raque et mange, connard de prolo, quand t’auras fini tes quarante-cinq heures à te pourrir la vie dans des centres commerciaux infects avant de rentrer chez toi tu penseras à donner un peu de ton argent à l’industrie de la viande roumaine.…. » (p/. 369/370)
La trame « policière/thriller » (la recherche de l’enregistrement vidéo de Bleach) qui se dessine mais qui n’est pas encore exploitée vraiment dans ce premier tome – je dirais même traitée de manière désinvolte, mais – on, c’est à dire moi, s’en fout puisque la lecture est addictive, les personnages attachantes, avec toutes leur faiblesses et travers…..
« Ce n’est pas difficile de tomber amoureux. D’abord, son regard braqué sur lui, la veille, sa jeunesse et une légère insolence, sans vulgarité, juste de quoi exciter la curiosité. Puis sa façon d’être droite, une envie de toucher son dos, de poser les lèvres partout à l’intérieur de ses cuisses, puis le grain de sa voix, la lueur amusée quand elle lui parle, quelque chose un tout petit peu précipité dans son débit – rien qui grince. Et cette facilité, inconsciente, qui lui vient d’être si jeune – ne rien connaître encore des coups qui la briseront, par endroits. Passé quarante ans, tout le monde ressemble à une ville bombardée. Il tombe amoureux quand elle éclate de rire – au désir s’ajoute une promesse de bonheur, une utopie de tranquillités emboîtées-, il suffira qu’elle tourne la tête vers lui et se laisse embrasser, et il accédera à un monde différent. Vernon sait faire la différence : excité, c’est le bas-ventre qui palpite, amoureux, ce sont les genoux qui faiblissent. Une partie d’âme s’est dérobée – et le flottement est délicieux, en même temps qu’inquiétant : si l’autre refuse de rattraper le corps qui sombre dans sa direction, la chute sera d’autant plus douloureuse qu’il n’est plus un jeune homme. On souffre de plus en plus, à croire que la peau émotionnelle devient plus fragile, ne supporte plus le moindre choc. » (p.98-99)
Des critiques pensent à la lecture du livre à un sérial auteur comme Philippe Djian, d’autres songent tout de suite à l’univers des séries télé (en effet la construction addictive rappelle des séries – mais je n’en consomme pas assez pour être à 100% d’accord.
Une chose est certain – pour moi – le « style » Despentes est pour moi celui d’une femme qui derrière une palissade « hardcore » brinquebalante a une sensibilité à fleur de peau, limite écorchée vive…. ses phrases – avec parfois un niveau de langage changeant – sont fortes et souvent brillantes (quand elle veut – puisqu’il y’en a ou les grammairiens lèveraient le petits doigt pour dire : ceci n’est pas une phrase….)
J’attends avec impatience le tome II.
Pour contre-balancer ce qui précède voici un extrait d’un blog « lesboomeuses.com »
J’en ai assez qu’on compare Despentes à Balzac au prétexte qu’il est question de « comédie humaine »; que certains journalistes dans la presse se gargarisent d’une suite annoncée : oui, « il va y avoir un Vernon 2, voire 3… quel bonheur! »…, assez de ces auteurs qui se fabriquent une image de désabusés et posent dans les journaux avec des mines déconfites, le cheveux gras et l’oeil torve. « Reflet de notre société »? quelle tristesse! On nous bassine assez avec la crise pour qu’on ait aujourd’hui le désir de lire plutôt des romans qui nous font rêver et nous sortent de cette morosité.
Quant au style… je ne vais pas la jouer » débile » pour utiliser un mot que l’auteur affectionne à son propos, mais je me souviens d’une interview de Despentes chez Pivot où elle se vantait de ne pas lire… et bien elle a tort, cela aurait peut être évité ces phrases, que j’éviterai de citer par décence pour la littérature classique, dont on se demande au final quel sens elles ont . On me taxera de bourgeoise, de coincée dans une littérature d’un autre siècle, peut être, mais peu me chaut.
Dominique Mallié
15 ans avant de rechuter 🙂
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Comédie humaine ou pas, ce roman est un objet d’art contemporain et son langage est celui de notre temps, écrit en soignant son actualité. Je le trouve même de forme plutôt classique. Nous (ceux des années 50-60) avons tous vécu ou côtoyé des situations ou personnages de ce livre. C’est comme au cinéma: certains prétendent n’y aller que pour se détendre, surtout éviter de réfléchir, de voir la vraie vie en face. Une oeuvre comme celle-ci offre plaisir, constat, réflexion, humanité. Elle dérange? tant mieux, c’est le propre de l’art (ceci au sujet du mot des boomeuses).
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Je signe! Beau et osé : »objet d’art contemporain » …. mais plus je le lis plus je confirme.
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Je ne la connais pas encore mais quand elle est passée à La Grande Librairie, j’étais partagée, d’un côté elle m’interpelle (le côté générationnel en commun, sûrement) et peut-être qu’elle me dérange mais de là à dire ce que la « boomeuse » a dit, il y a un pas ! On ne juge pas un livre en fonction de ses propres valeurs, sinon plus rien ne sortirait !!! OMG, quand je lis ÇA, j’ai une poussée d’urticaire à l’idée que la censure pourrait nous tomber dessus avec des gens pareils… En tous cas, il est noté, je le lirai « en son temps », lui aussi… 😉
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J’adôôôre !
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j’ai prévu de le lire, après m’être abstenue de lire Despentes, comme toi après un « Baise-moi » qui ne m’avait convaincue ni sur la forme, ni sur le fond. La pure provocation ne fait pas forcément de la bonne littérature. Là, je pense que V. Despentes a apaisé – un peu – sa colère; je l’ai vue aussi chez Busnel et je l’ai trouvée touchante et intelligente et non plus seulement provocante, alors je lirai Vernon Subutex
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