« En bon moderne, je préfère l’esquisse au grand tableau – et cela devrait me servir d’avertissement, à moi qui n’ai jamais envisagé mon propre livre autrement que comme une de ces amples compositions ultra-équilibrées et architectures, chef-d’oeuvre d’artisan après quoi on pourra, enfin, souffler un peu, se lâcher, mais ce n’est pas pour toute de suite… » (p. 382)
x millions de chrétiens et moi et moi et moi…..
Et ben, je suis enfin venu à bout des 630 pages du « Royaume » de Emmanuel Carrère.
Certes le « roman » est ultra- architecturé mais sorti assez rapidement de la liste des goncourables 2014, ce qui avait surpris plus d’un. Pourtant une fois fermé le livre je me suis dit que ce livre n’aurait pas fait un bon crû Goncourt du tout.
J’ai dû faire une première pause (récréative) après les 1ères 142 pages (chapitre « Une crise ») dans lesquelles E.C. nous explique dans le détail sa conversion au christianisme (pur et dure) et comment il s’en est détourné…. pages dans lesquelles il décrit comme il découvre avec effarement les réflexions « gratinées » sur la foi, ses pensées à la lecture du Nouveau Testament »….. [ « Tout peut arriver, y compris que l’égocentrique et moqueur Emmanuel Carrère se mette à parler de Jésus, avec cette bouche en cul-de-poule qu’on est obligé de faire pour émettre la seconde syllabe (essayez de dire zu autrement)…. » (p.57) et qu’il sort ces cahiers noircis de notes de recherche, de pensées, d’interprétation de NT. Pour être franc : je me suis – un peu – ennuyé ….
C’est devenu plus intéressant et vivant (façon de le dire) quand E.C. s’intéresse à Paul et Luc, l’écriture et la lecture comparé des Livres qui constituent le NT. Ce qui est lassant à la longue ce sont ses digressions, le côté « ah, j’ai encore trouvé une autre note que je dois vous raconter…. » (allez, encore un pour la route?) … Ainsi le livre devient (pour moi) une sorte de patchwork de TOUTES les notes de son auteur….
J’ai bcp annoté le livre, c’est un « trésor de trouvailles de scénariste » : Paul, le Trotzky de Stalin » (P. 257), les digressions sur Dick, un auteur SF sur lequel EC avait écrit un livre, les excursions dans le Seneca-Land, Renan ou aussi Ulysse (occasion de parler du lit d’Ulysse aussi et de celui, grand bien entendu, que E.C. s’est fait faire pour sa maison en Grèce) …. parfois dans une langue très ami-ami, presque parlé. Peut-être il faut dire qu’heureusement c’est écrit comme ça, le lecteur aurait probablement capitulé avant la fin, là, ça coule, ça passe avec des transitions lisses et d’une plume alerte…, et gomme les nombreuses répétitions.
« …. qu’un petit groupe de femmes et d’hommes – les femmes d’abord – , désespérés de la perte de leur gourou, s’est monté le bourrichon, raconté cette histoire de résurrection, et qu’il s’est passé cette chose surnaturelle, mais stupéfiante et qu’il vaut la peine de raconter en détail : leur croyance naïve, bizarre, qui aurait normalement dû s’étioler puis s’éteindre avec eux, a conquis le monde au point qu’aujourd’hui encore un quart environ des hommes vivant sur terre la partagent. » (p. 354/355)
J’étais aussi particulièrement « passionné » des quelques pages dans lesquelles EC « démonte » l’écriture de Luc et Marc…. « Le programme que se fixe Luc est bien un programme d’historien…il promet une enquête sur le terrain, un rapport auquel on peut se fier : du sérieux. Or, à peine formulée cette exigence, dès laligne suivante, que fait-il? Un roman. Un pur roman.…. »(p.561). Il juxtapose dans ces pages l’écriture, s’intérroge sur la réalité de certains mots de Jésus, note ce qui est gommé et/enrichi et/ou formulé autrement, et essaye de voir l(es)’auteur(s) au travail……. (p.ex. autour des derniers mots de Jésus : « Père, je remets mon esprit entre tes mains » (Luc) contre « Père, père, pourquoi m’as-tu abandonné? » (Marc)…. Ce qui est loin d »être la même chose….. Excursion intéressante aussi sur la traduction de la bible, à laquelle E.C. avait participé.
Dans ce contexte je pense à un article paru dans Le Monde en date du 1./2. Février. L’auteur Ali Malek (un écrivain né en Algérie) montre avec moultes exemples « Comment l’islam est perverti par des fidèles ». « Démontage » et analyse de ce qui est écrit dans le Coran et ce que dis le hadith…. donc de ce qui a été dit ou dicté par Mahomet et de son enrichissement ultérieur……comme chez les chrétiens il y a les paroles (de Jésus) et ce qu’en font quelques 30 – 50 années plus tard les évangélistes….
Tout ce qui est analyse de ce type a été pour moi le plus intéressant et enrichissant dans la lecture du « Royaume ».
Pierre Assouline titre son entrée de blog « Ego-Peplum » :
L’auteur reconnaît n’avoir pu venir à bout des Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar. Lorsqu’on lit Le Royaume, on comprend pourquoi. L’un est aussi écrit que l’autre ne l’est pas. Non que sa langue en soit vulgaire à force de vouloir vulgariser. Mais elle se veut si familière, elle en devient si relâchée, qu’elle finit par être ordinaire. http://larepubliquedeslivres.com/lego-peplum-demmanuel-carrere/
et Hélène Bodenez dit dans son blog à elle http://www.leblogdhelenebodenez.com/article-le-royaume-d-emmanuel-carrere-ne-ressemble-a-rien-124616360.html que « ce livre ne ressemble à rien »
Non, la mise à l’écart tient à un autre constat : Le Royaume ne ressemble à rien, n’est en rien littéraire. Certes, il est question d’un chemin parcouru, lu à l’aune de la psychanalyse, de l’amitié, d’une famille qui se demande par exemple comment on peut croire à des choses aussi bêtes quand on est chrétien « rationalisant platement tous les mystères », lu à l’aune d’historiens, d’artistes, bref de grands noms étalés en écran de fumée. Mais ceux qui défendent le livre ne voient que cela et dans une espèce de critique charitable, mélangent l’amour de l’artiste avec la force d’une œuvre artistique, l’intention et l’idée artistique. Qu’on respecte le cheminement même très tortueux d’Emmanuel Carrère est une chose. Qu’on porte aux nues pour cette raison « ces milliers de notes » liées par d’« habiles transitions » en est une autre.
Six cents pages donc, écrites sans style, en langage familier voire grossier, à la va comme je te pousse, lourdes de démonstratifs et de présentatifs, voilà Le Royaume. Quatre parties dont on se demande quelle est leur unité tant elles sont truffées de tartines et de digressions sans queue ni tête, voilà encore Le Royaume. Un « moi je » qui s’épanche gratuitement dans une vulgarité raide, voilà toujours Le Royaume.
Thierry Jolif écrit (http://www.unidivers.fr/le-royaume-emmanuel-carrere/)
Le Royaume témoigne d’une enquête toute personnelle sur la naissance de l’Église et la persistance de la foi. Un voyage entre la Grèce, Rome et Jérusalem qui n’est pas sans rappeler, l’humour en plus, les fresques cinémato graphiques de Mankiewicz. Tour à tour irritant, passionnant, pertinent parce qu’impertinent, ce long parcours sinueux qui mêle, en un dosage très supportable, égoscopie et exégèse originale est brillant en ceci qu’il parle vrai et s’attarde avec la même logique scrutatrice sur toutes les opinions trop bien tranchées (à commencer par celle de l’auteur).
Par ailleurs, pour « parfaire » ma lecture et l’insérer dans un grand tout multi-média, j’ai passé quelques heures dans une salle obscure pour voir le dernier opus de Ridley Scott « Exodus – Gods and Kings » avec Christian Bale (Moïse), Joel Edgerton (Ramsès), John Turturro (Séti, le père de Ramsès), Sigourney Weaver (Tuya, la mère de Ramsès), Ben Kingsley….. épopée peplumesque sur le départ des Juifs d’Egypte…. La technique permet aujourd’hui de faire des choses formidables… et le choix de R. Scott de représenter Dieu qui parle à Moise sous forme d’un jeune garçon est osé…. Mais on peut ne pas aller voir ce film – sauf si on a bcp traduit des textes et a besoin d’un certain abrutissement….. (la musique de A. Iglesias est très « Zimmer »ienne, too much….. )
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(ce qui suit est interdit aux moins de 16 ans)
Et pour clore : J’ai fait comme bon nombre de lecteurs du livre et cherché la vidéo dont Carrère parle page 390 – 397 de son livre, pages étonnantes dans lesquelles il décrit après un discours sur le portrait, la représentation dans l’art (Caravage/ Weyden) ses émotions face à une vidéo porno … une masturbation …. en effet d’un réalisme « vrai et probablement pas feint » dans le paysage des sites porn (et vous n’êtes pas obligé de la regarder…) … occasion aussi pour E.C. ensuite de publier le courrier que sa femme lui a adressé suite au visionnage…. cela vaut son pesant de cacahuètes : « ....et puis, quand tu décris l’effet que te font ses tremblements, l’expression de sa jouissance, tu dis autre chose : que ce qui t’excite pardessus tout, c’est le plaisir des femmes. J’ai de la chance. Quand même, il a bon dos, Luc. » (p.397)
https://onatrouve.wordpress.com/tag/deux-orgasmes/
Cette scène est l’occasion pour le blog senscritique de fermer enfin ce livre http://www.senscritique.com/livre/Le_Royaume/critique/39888803) :
Malgré une écriture vivante, alerte, sympathique, je cherchais malgré moi un prétexte pour bazarder cette prose, tantôt prosélyte, tantôt bouffeuse de curés. Les continuelles digressions d’Emmanuel qui, à tout propos tirait la couverture à lui en reprenant l’histoire de sa vie, commençaient à m’emmerder grave ! Quand, sans qu’on y soit préparé, notre guide changea une nouvelle fois de direction. Laissant le tombeau vide du Christ, l’auteur nous dit aimer visiter les sites pornos sur internet. Quel rapport avec la découverte du miracle me demanderez-vous ? Aucune idée. Je poursuivis ma lecture espérant découvrir un lien mais n’apprendrais que les préférences de l’écrivain. Monsieur Carrère en pince pour les chattes poilues. Les pubis rasés lui apparaissent trop professionnels. Ce qu’il aime, ce sont les femmes qui se filment en amatrices, celles qui ne simulent pas, qui ne jouent pas un rôle. Celles qui ne jettent pas un clin d’œil aguicheur à la caméra. Durant trois ou quatre pages, il nous décrit crûment sa dernière trouvaille : une belle brune qui, sur son lit, se masturbe et atteint l’orgasme par deux fois. Je ne nierais pas la volupté de la scène qui je visualisais. Mais je ne parvenais pas à comprendre l’intérêt de ce chapitre dans un tel livre. Enfin si : je tenais enfin le fameux prétexte que j’attendais depuis 100 ou 150 pages. Grace à cette excitante demoiselle, je referme définitivement le livre aux deux tiers de sa longueur, légèrement émoustillé et heureux de pouvoir passer à autre chose.
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