Drôle de livre de Don Winslow » Dernier verre à Manhattan » (« Isle of Joy ») sorti en France en 2013 et écrit en 1996…. vers la fin de son cycle Neal Carey (Noyade dans le désert, Le Miroir de Buddha)….. avec au centre un ex-agent Walt Withers (croisé dans un des romans par Carey – ….) – formidablement traduit par Philippe Loubat-Delranc (il restitue la fluidité des dialogues de manière congéniale)
Noël 1958, New York…. Walt Withers a quitté la CIA, travaille pour un agence de surveillance. A priori un travail très administratif mais avec des excursions sur le terrain. Bel homme, bonne prestance et intelligent il va devoir, à la demande de son patron, effectuer un job de « chaperon » pour un brillant sénateur, pressenti pour la présidence au nom évocateur (Keneally – meuh oui, vous avez bien reconnu…), et sa femme, l’intellectuelle (Madeleine – on reconnait bien… qui?…. Jackie….). Le frère de Joe K. c’est Jimmy (Bob)…. une actrice, maîtresse du priapique sénateur mourra d’un mélange d’alcool et de Nembutal dans une chambre réservée au nom de notre héro… (par ailleurs : elle s’appelle Marta Marklund – MM – et cela vous évoquera aussi certainement une autre icone bien blonde)…. Un poète de la génération beatnick joue un rôle (meuh oui, vous voyez bien le trait de T. Capote…) ….
Je vous fait une esquisse de ce tableau qui sent un travail de documentation de fou-furieux, avec des listes des bars et club de Jazz ouverts à cette époque, quand les cadres ne vivaient pas encore en « banlieue », quand New York brillait de tous feux 24/24h…. , la liste des spectacles à Broadway (p. 168/169) mais aussi d’anachronismes (hihi….WW voir une affiche de « Jules et Jim » – sorti en ….1962 seulement…!!)
Walt Withers est amoureux d’une chanteuse de Jazz (Anne) par la bouche de laquelle D. Winslow profère toute sa charge et critique contre JFKennedy (pardon Keneally )…. Ma magnifique femme se révélera n’être pas celle qu’on croit pendant 200 pages….
Le livre avance flegmatiquement malgré la machinerie inextricable et bien machiavélique – ce n’est que vers la page 200 – sur 422p que les rouages, trames du récit présentés, érigés jusque là s’enflamment, prennent de la vitesse, sans pour autant vibrer ou s’emballer au point de virer vers des phrases courtes, bardées d’onomatopées comme dans « Savages » ou « Cool » …. non, l’écriture reste toujours celle d’une balade noire dans une ville que l’auteur aime profondément et mélodieusement (les titres des chapitres sont tirés de standards de Jazz (de Porter, en passant par Gershwin à Monk…).
Bien entendu W.Withers va s’en tirer, éviter l’imbroglio avec les services secrets russe (on est en guerre froide), le FBI (Hoover), les services de McCarthy….
Un thriller avec des agents, un roman noir avec détective et une histoire d’amour sur fond politique et Noël…. dans une langue bien restituée et intelligemment ironique et enlevée… On sort de la lecture sans avoir besoin d’une baisse du niveau d’adrénaline. Curieux, pas indispensable mais collant parfaitement à Noël.
Pour rester collé sur la période noëlesque voici un passage de réécriture de la vie de Jésus (d’un point de vue d’un agent de la CIA) qui m’a bien fait sourire…. – page 219):
…. »après tout, la sanglante conséquence de Noël – non célébrée de peur qu’elle ne plombe l’ambiance de la saison – fut le massacre des Innocents ordonné par Hérode. Joseph de Marie exfiltraient le vrai bébé – la ressource de Dieu, excusez du peu – en le faisant passer en douce de l’autre côté de la frontière ennemie, puis le ramenèrent de la même manière une fois que les choses se furent tassées et en firent un agent dormant pendant trente ans. En utilisant comme couverture le métier de charpentier. Oh, il y eut bien quelques gaffes de temps à l’autre : l’eau en vin et des remarques trop précoces, entre autres au Temple , mais dans l’ensemble, tout se déroula comme prévu jusqu’au jour ou Dieu eut besoin de ses services, et hop, l’agent dormant sortit de son sommeil et le voilà parti pour une campagne révolutionnaire de trois ans qui se terminera comme toujours dans ces cas-là : procès truqué, torture, exécution et corps resté introuvable. Si le propre agent de Dieu n’a pas l’ombre d’une chance, alors qui?….. »
Je lis qu’un nouveau livre de Don Winslow va sortir en mars 2015 : « Missing : New York » (il est sorti en Allemagne en 10.2014) – avec un nouveau détective : Frank Decker (roman considéré comme « conventionnel » par la critique allemande.