« Des morts bien pires » (Francisco Gonzalez Ledesma)
Avec plaisir je retrouve le commissaire Méndez (déjà rencontré en 2013 dans https://lorenztradfin.wordpress.com/2013/01/02/on-est-toujours-le-vieux-de-quelquun/) dans un roman sorti en mars (prêt de la bibliothèque de Grenoble) et très bien traduit par un couple de traducteurs – Jean-Jacques et Marie-Neige Fleury). Une nouvelle fois la ville de Barcelone / Barcelona est quasiment un personnage à part entière du roman. Toutefois une ville victime de la crise, sordide, inhumaine, sordide, scène d’un trafic internationale de femmes des pays de l’Est (la traite des Blanches).
« Or il n’y en a pas près de ces édifices isolés et cossus, là ou les dames passent leur temps à trouver des les noms des arbres des parcs et à promener leurs pékinois, là ou les hommes n’entrent en relation avec leurs maitresses que par portable. Les cafés les plus proches se trouvaient près du Corte Inglés, et c’étaient des cafétérias où l’on pouvait, au maximum, avaler un petit déjeuner de première nécessité, où les serveuses ne connaissaient personne et où si tu allumais une cigarette l’alarme du plafond se déclenchait. Méndez comprit que s’il restait dans le coin, cela aurait de très graves conséquences sur sa santé.... » (p. 293)
Tout commence par une jeune femme qui court, traquée… à travers les rues de Barcelone, mais elle ne court pas assez vite. L’assassin va la tuer en même temps qu’une gamine témoin. L’inspecteur Mendez – toujours peu apprécié par son hiérarchie – va enquêter officieusement…. et il y’en aura pas mal de morts au fil des pages…..
Ce que j’aime dans ce livre et dans ceux que j’ai lu de Ledesma, c’est ce ton nostalgique, désabusé, clairvoyant quant à la faiblesse de l’être humain et de la décrépitude d’une ville qu’il aime profondément.
« Méndez préféra ne pas imaginer à quel degré de solitude pouvait arriver un homme pour qu’il n’ait pas d’autres amis que des serpents. Mais il comprit à sa façon. Il comprit ce que signifiaient un couloir, une unique et minuscule chambre à coucher, des toilettes exiguës, un tableau que maman avait accroché au muir et, de l’autre côté de la porte, un voisin toujours agonisant. Méndez comprit ce qu’était la solitude en 3D, ce que représentait un animal qui t’attend et te regarde dans les yeux lorsque tu retournes au silence de ton logis. Même si ce n’était qu’un serpent…. » (p.243)
Il y a de belles femmes, des tueuses, des moments qui vous donnent la chair de poule (un violeur meurt d’une manière qui m’a fait trembler)…. Les liens opportunes de certains personnages, les surprises sont peut-être parfois un peu faciles ou téléphonés, mais on lit l’ensemble avec un vrai plaisir (qui aurait-été plus grand encore s’il n’y avait pas autant de coquilles – au moins 8 – dans l’édition dans ma main…. Rivages a déjà fait mieux.
Je crains seulement – au vu de la fin – que ce livre peut être le dernier de la série des Méndez….
Extrait d’une Interview de Ledesma (2005 – http://www.europolar.eu/europolarv1/3_dossiers_entretien_ledesma_fr.htm
Si vous me permettez d’être clair, Méndez a trois raisons d’être nostalgique, trois raisons qui pour moi sont des raisons très valables. La première des nostalgies est celle de l’âge. L’âge nous fait prendre conscience que nous avons vécu une vie qui est certainement plus belle que celle que nous vivons à présent, bien qu’on vive aujourd’hui généralement mieux. Je veux dire que moi, par exemple, je vis dans un plus grand confort que lorsque j’étais un enfant pauvre. Mais ce sont les rêves de l’enfant pauvre qui continuent à remplir ma vie. Voyez-vous, il y a toujours un passé dans lequel vous êtes plus digne, plus jeune et plus beau. L’autre motif n’est pas aussi facile à confesser, bien qu’il soit aussi légitime : toutes les femmes que Méndez a aimées ont vieilli ou sont mortes. Toutes ces femmes étaient pleines d’une vie, d’un sens, elles avaient une voix propre et désormais, elles ne sont plus. Cette voix s’est éteinte. Même les prostituées qu’il protégeait sont devenues vieilles, sont mortes ou sont encore debout à un coin de rue et le remplissent de peine. Cette deuxième nostalgie vient du souvenir de la jeunesse perdue et que Méndez regrette. Ce qui, pour moi aussi, est un sentiment bien légitime. Et enfin, le troisième regret est important aussi, bien que seuls les Barcelonais puissions le comprendre : c’est le nouvel urbanisme, la nouvelle ville. Barcelone était une ville pleine d’ouvriers et de capitalistes, tous bien définis, qui parfois s’affrontaient à mort, mais qui se connaissaient tous. Il y avait des quartiers populaires, par exemple le barrio chino, qui était un quartier dans lequel la bourgeoisie venait se divertir le samedi soir, prenait un verre, parlait avec les femmes… Tous cela, du point de vue de l’urbanisme, s’est perdu. Les anciennes rues n’existent plus, et Méndez regrette leur absence. Il sent que les nouvelles rues ne lui appartiennent plus. C’est la raison de sa nostalgie. Et peut-être aussi le fait que les anciens habitants de ces quartiers aient disparu sous les vagues d’immigration. Dans le roman, il y a une phrase qui dit que Méndez se souvient de nombreuses jolies filles du quartier dont les pères s’appelaient Pepe, et désormais s’appellent Mohamed. Ces quartiers ont changé parce que les immigrants y ont installé des boutiques musulmanes, des restaurants indiens, les maisons ne sont plus les mêmes et la langue n’est plus la même. Cela aussi emplit Méndez de nostalgie….
[les photos datent d’un voyage en 2008 – je n’étais pas aux Ramblas, l’artère auprès le roman se déroule principalement….]