Aujourd’hui un petit bijou – Un premier roman (pour adultes) avec 106 pages d’un texte empreint d’une poésie simple, de grâce, d’émotion retenue (comme la musique de Carla Bley) qui se lisent d’une traite. Prêté par S.D. – à laquelle j’adresse un grand MERCI.
http://youtu.be/h-i8fH3HU18 (« Lawns » de C. Bley)
Le lecteur ne saura dire ou se déroule ce court roman. Le monde qui y est décrit semble parfois sortir d’un conte, parfois d’un roman d’anticipation. L’écriture, faite de mots simples, tantôt naïves tantôt cruels nous montrent la mort, la violence, l’amour qui se côtoient. J’ai lu quelque part que le roman rappellerait le monde de Tim Burton. Je ne peux qu’acquiescer, il y a la même imagination débordante, la cruauté des êtres humains, le bestiaire étrange (pas d’oiseaux, des cochons fluorescents qui nagent et sont des animaux de compagnie dans un endroit reculé du monde parfois visité par des touristes….)
« Jour après jour, les yeux du Cannibale se collent dans mon dos, ronds et froids, un sur chaque omoplate. Si incrustés qu’un jour ils traversent réellement la fenêtre, mon manteau, mon pull, et je les emporte au collège. Je les sens dans mon dos. De temps en temps, je les frotte doucement contre mon dossier. Toute la journée, Joseph le Cannibale reste à m’attendre, derrière sa fenêtre, les orbites vides, jusqu’à ce que je passe dans l’autre sens, journée de cours terminée. A hauteur de sa fenêtre, hop! les deux yeux bleus quittent mes omoplates et traversent la vitre dans l’autre sens pour retrouver leur place. Moi, je continue mon chemin sans me retourner. La nuit, dans mon lit, leur trace me gratte, un rond de peau à vif sur chaque omoplate. Et ma poitrine pousse de l’autre côté, à l’opposé. » (p. 29)
La narratrice, dénommée par ses parents « petite boîte d’os » (!) déroule le fil de sa vie, sans jamais rien dire explicitement ou en détail, de paragraphes en paragraphes, pas de chapitre, parfois on saute un mois, parfois cinq années, un drame jouxte une joie immense (la vie quoi!). Libre donc au lecteur de s’imaginer cette vie, de remplir les blancs laissés.
Univers étrange et improbable et en même temps d’un réalisme confondant dans lequel nous assistons à la naissance d’un amour et le déroulé d’une vie (80 (?) ans dans la vie d’une femme), avec une sensualité qui m’a touché.
« Les jours s’enchainent. Collines humaines, montagnes d’énergie, nous dormons, nous nous réveillons, nous mangeons, nous travaillons, nous nous occupons de notre bébé et nous mangeons et nous dormons et nous nous réveillons. » (p.54)
« Tu es parfait », je luis-dis, drapée dans mon cadeau. Il me répond « Je sais. » -« Juste, tu fais chier d’être vieux. » « T’avais qu’à te dépêcher de naître. » (p. 64)
« L’hiver revient nous enveloppe dans sa gangue de froid. J’ai vécu plus de temps avec Jeff que sans lui. Je connais toutes ses odeurs, toutes les matières de son corps, ses cheveux, ses poils, ses lèvres, sa peau. Je reconnais sa silhouette à plusieurs kilomètres. Je devine son humeur à sa démarche, à sa respiration » (p. 82)
Un read absolument à conseiller aux voyageurs des mots.
http://karinserres.blogspot.fr/2013/08/monde-sans-oiseaux.html