« Le sommeil et la mort sont liés au silence, c’est-à-dire au secret. Comme la lecture. Comme l’écriture. Comme mon amour qui ne s’exprime plus à haute voix, mais s’épanche sur les pages de ce carnet ….. » (p. 73)
« Réanimation » est un livre qui m’a touché. Beaucoup. Cécile Guilbert, connue pour son livre sur Andy Warhol (prix Medicis en 2008) tient un journal pendant les journées pendant lesquels son mari, Blaise, photographe, se trouve à l’hôpital (en salle de réanimation, dans le coma) foudroyé par une infection rare : « la cellulite cervicale ». L’écriture d’abord pensé pour laisser à Blaise des traces des journées passées sans lui, une sorte de journal de bord, « en dehors de » lui….vivante, devient réflexion sur sa vie, sur l’absence de l’autre…
Blaise se trouve en «body machine» transhumanisé dans un service qui s’échine à lui rendre l’âme. Il n’est pas mort, mais il n’est pas réellement en vie non plus, parce qu’il n’est qu’un corps en sommeil…dans un entre-deux.
Pour moi, «Réanimation» est une ode amoureuse à la vie. L’absence de l’être aimé (ce qui est drôle – Blaise, après de dizaiens d’années de vie commune n’a finalement que des côtés positifs, tant elle le chérit, gommant tous les caractéristiques négatifs, « chiants » – il doit quand-même en avoir, non?)…..s’introduit dans toutes les interstices de la vie, de la pensée.
Ainsi, la narratrice, telle une tragédienne, nous décrit la chambre de son amoureux, en appelle aux dieux grecs, aux mythes, à la littérature avec une grand « L » (Endymion, Séléné, Orphée, Cocteau, Hamlet, Hypnos, Odyssée….) qui se réveillent, avec les médicins, pour « vivre ou mourir en rond », la description parfois clinique lui permet de tenir à distance son angoisse de le perdre….pour toujours…
Elle nous décrit aussi, parce qu’elle y pense souvent, les petits riens qui font la présence de l’autre, une montre, les objets du quotidien, une tête de Bouddha, la tête de mort….. et c’est poétique, c’est triste et en même temps d’une énergie vivante et tonifiante qui m’a bouleversé.
« Ne l’ai-je pas observé durant des milliers de nuits noires, d’aubes grises et de siestes orangées, ce sommeil qui renoue les fils emmêlés par le souci, mort de chaque jour de vie, bain du labeur ardu, baume des esprits meurtris, deuxième plat de la grande nature, principale nourricier du festin de vie qu’évoque Shakespeare. » (p. 178)
« ….a première vue, urgences et réanimation représentent l’endroit et l’envers d’une même réalité dangereuse….car reposoir d’immobilité et de silence, ce blanc cocon à lents ballets chorégraphiés sur les pointes n’en suinte pas moins la destruction et le ravage. Zone de guerre, c’est un théâtre d’opérations complexes où, sous les draps et les pansements, dans le ronronnement monotone des respirateurs, ne gisent que de vies brisées…. » (p.125)
Pour moi jusqu’ici décidément le meilleur livre de la liste du Livre Inter*, même si je suis convaincu que pas mal de lecteurs vont trouver que C. Guilbert se répète, qu’elle en appelle un peu trop aux mythes, aux grecs (pour « remplir les blancs ? « pour se la peter »(comme dirait-l’autre)? )….moi j’ai rarement lu un livre qui essaie de mettre en mots l’absence (réelle, potentielle) de l’autre, des efforts des médecins, de la médecine pour « sauver » une personne, de rendre poétiquement la vie dans un département « réanimation » ….
[* je parlerai dans d’autres entrées de mon blog de Yasmina Reza (Heureux les heureux) et de « La Divine » (N’diaye)]
Pour clore voici un texte par Cécile Guilbert elle-même:
http://d-fiction.fr/2012/09/reanimation-de-cecile-guilbert/
Et finalement aussi des extraits d’une critique dans « Culturebox » – trouvé en cherchant une photo de l’artiste de la plume.
L’histoire : Une femme toujours amoureuse de son mari (ça fait quand même 20 ans qu’ils se connaissent) doit se séparer de lui. Atteint d’une maladie grave et rare, il est plongé dans un coma artificiel pour subir quotidiennement des opérations chirurgicales lourdes. L’homme dort. La femme a peur. Qu’il ne se réveille pas, que le bonheur partagé s’enfonce définitivement dans les ténèbres du coma. Dans ces 12 jours d’attente (une éternité) la femme découvre le monde de la réanimation et explore entre curiosité et angoisse cet état d’entre-deux qui n’est ni la mort ni la vie.
« C’est ainsi que tonne le canon qui abat tout, renverse tout, démolit tout »
Le livre commence comme la foudre : brutalement, alignant des images surexposées. L’écriture est hachée, alternant phrases longues et phrases courtes. La narratrice n’utilise pas encore le « je ». Mais le « tu ». Comme si l’événement (trop violent) était vécu par une autre : c’est à un « toi » qu’arrive cette chose impossible. C’est la première nuit, interminable, qu’elle se souvient avoir traversé « comme une comète ».
Puis la narratrice reprend le « je », se récupère, atterrit. Commence alors l’attente. L’écriture devient plus paisible. Que va-t-elle faire de cette attente, « incapable de se repaître d’autre chose que de cette déchirure », et de cet homme qu’elle aime, « un corps criblé de tuyaux et de sondes, nez et bouche obstrué de matière plastique, épaule constellée de pastilles », dont « l’ancienne présence ne se manifeste plus qu’en creux, comme si son corps démoulé de partout n’habitait plus le monde qu’en négatif ».
L’art tranquillisant
La femme cherche des réponses. Dans l’atelier de l’homme, photographe, elle chatouille la mort, en soupesant un crâne. Elle se fait peur, en lisant des pages de médecine dermatologique sur Internet. Mais surtout elle puisse dans l’art, trouve des réponses chez Warhol (elle vient de publier un livre sur celui qu’elle nomme « l’albinos ») dans les contes de Perrault, les collages de Max Ernst, le cinéma surréaliste de Buñuel ou les lumières de la mythologie. Cette quête la conduit aussi à produire elle-même une œuvre, puisqu’elle se lance dans l’écriture d’un roman.
« Réanimation » est un livre d’amour. Celui d’une femme privée de ce qui lui paraissait jusque là éternel, et dont la soudaine vacuité lui révèle la fragilité, et lui fait « mesurer combien l’angoisse resserre et l’amour élargit ». Rares sont les amours qui se suffisent à elles-mêmes et les êtres capables d’accepter le bonheur. Ce livre en est un très beau témoignage.
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