En censurant un roman d’amour iranien

L’opus de Shariar Mandanipour traduit par Georges-Michel Sarotte (traduction de l’anglais d’après la traduction anglaise du farsi – par Sara Khalili) est bel et bien conforme à la 4e de couv’ « roman d’amour à la fois réaliste et fantastique…. loufoque et bouleversant, jubliatoire et tragique… »

iranien

Mais il est aussi déroutant (dans sa structure, un peu dans le style ample et non-lineaire des contes de Mille et une Nuit…). Et Kafka n’est pas loin non plus  (« Le Procès » est souvent cité et les errements du narrateur ressemblent bcp à ceux de Josef K.).

Le lecteur regarde au-dessus des épaules d’un écrivain qui souhaite écrire un roman d’amour qui ne reveille pas les ires de la censure, personifiée ici par M. Petrovitch (mais oui, comme le juge d’instruction de Crime et Chatiment) qui – toutes les 10 pages intervient – . Nous assistons donc à l’élaboration d’un roman (ce roman est distingué du reste du livre par des lettres en gras) et observons « en live » la naissance de l’histoire d’amour de Sara et Dara, écoutons l’auteur en plein processus de gestation et oavons droit aux biffures de mots, phrases, passages susceptibles d’éveiller les soupçons de la censure et donc d’empêcher la publication du livre en train de naître. Exemple (page 27):

« Sara étudie la littérature iranienne à l’Université de Téhéran. Cependant, pour respecter une loi non écrite, il est interdit d’enseigner la littérature iranienne contemporaine dans les écoles et les universités du pays. Comme tous les autres étudiants, Sara doit apprendre par coeur des centaines de vers….de poètes morts il y a mille, sept cents, quatre cents ans… …. »

En même temps, le lecteur – est c’est que se trouve le 3e niveau du roamn – reçoit une multitude d’informations sur la vie, la politique, la société en Iran…. et cela dans le cadre d’apartés (sur la réception et compréhension de films et livres occidentaux, émanation de la culture du diable….; sur la compréhension de la poésie iranienne aussi, sur la force et capacité des mots de dire une chose et de (induire à) penser une autre). Dans ce contexte, les passages avec les explications sur l’ingéniosité litteraire et la créativité poétique sont parfois tordants (quand on aime l’ironie et quand on a été elevé dans un monde, une culture occidentale).

p.42:

« Il déclare que les lèvres de Shirin n’ont jamais connu de dents et ses dents n’ont jamais connu de lèvres. Ce demidistique offre un exemple des ambiguïtés de la littérature iranienne, car on peut l’interpréter de plusieurs manières. Peut-être ses lèvres sont-elles si pulpeuses et si saillantes qu’elles ne touchent pas ses dents. Ou peut-être ont-elles l’air, comme on dit en farsi, d’un cordon si mince et si joliment effilé qu’aucune dent ne pourrait les mordre…..autrement dit….cela pourrait suggérer qu’aucun homme n’a jamais mordu les lèvres de Shirin….manière de décrire la virginité d’une femme….« 

…et le livre fourmille de ces sorties par les voies bussonnières…

Mandanipour est un grand conteur – et il nous mène par le bout du nez ou il veut. A un moment il (le narrateur) se perd toutefois, parce que ses personnages (Sara, Dara et Sindbad – il faut toujours un 3e larron dans une histoire d’amour & un peu de jalousie, des disputes, non?) veulent être libres, et vivre leur histoire en dehors des canons prescrits par les lois (no-écrites)…

C’est très kafkaien – puisque même les pensées, pas encore couchées sur le papier deviennent condamnables ( (hah le passage magnifique des travaux de censure du film « Danse avec les loups » de Kevin Kostner (le juge aveugle se fait raconter les scènes par deux personnes – déjà le titre l’obsède puisque « le mot « danse » apparait dans le titre. « C’est un mot vulgaire, obscène »…. »Mais …Il y a rien d’immoral de danser avec des loups »… »Danser est danser. Croyez-vous que les Iraniens songeront à danser avec les loups quand ils verront ou entendront le mot « danse« ? Ils vont immédiatement imaginer la danse du ventre arabe. Les occidentalisés vont penser au tango, et à peine penseront-ils à la danse qu’ils se mettront à danser….Leur péché pèsera sur vos épaules, mon frère. »….(p. 135 ff).

Le livre a rempli son rôle de « repos » après « Corky » même s’il devenait – vers la fin – (et son « twist scénaristique ») presque trop tordu avec ses moultes niveaux de lecture. De toute façon, il m’a souvent bien fait rire, et ça, dans ces temps qui courent, était un vrai cadeau.

« L’état que j’appelle « la première étreinte amoureuse entre l’écrivain et les mots ». Tout écrivain a maintes fois rencontré ses mots. Ils ont eu de nombreuses conversations. Ils ont même flirté ensemble. Mais il existe de rares moments… où, dans un certain espace temporel…s’accouplent les ombres des corps nus de l’écriavin et des mots. Ils sont comme deux amoureux qui se connaissaent depuis longtemps et qui, au cours de leurs rendez-vous clandestins, se sont souvent caché le désir qu’ils éprouvent l’un pour l’autre… »

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Un commentaire pour En censurant un roman d’amour iranien

  1. Anis dit :

    Cela me fait vraiment penser à ce qu’a raconté Ana Blandiana poétesse roumaine, au salon du livre de Paris, quand elle expliquait comment certains mots étaient interdits par la censure et comment les écrivains tentaient d’y échapper.

    J’aime

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