Les premières 536 pages du Livre Inter 2012 sont derrière moi – un roman impressionant d’ou je sors comme d’une apnée.
Pêle-mêle les noms qui me viennent à l’esprit après (et lors de la lecture: Truman Capote (Sang Froid), Emannuel Carrère (L’adversaire), Elfriede Jelinek et Thomas Bernhard (« Gier », « Lust »…)…Roman avec une structure impressionnante qui avance en cercles concentriques, racontant l’histoire de ce « fait divers » affreux (et ce mot ne suffit pas) plusieurs fois en changeant la façon, le prisme.
Régis Jauffret (dont c’est le 1er roman que je lis) fait une enquête sur l’affaire Fritzl (http://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Fritzl) – M. Fritzl a enfermée sa fille dans la cave de sa maison pendant 24 (vingtquatre!) années – viol incestueux, naissance de plusieurs enfants issus de cette union, emprisonnement…..Et c’est sur la base de cette trame (avec changement des noms de protagonistes – sauf celui du père – ), en s’appuyant sur les maigres PV des interrogatoires, des rapports de psy, les rares dossiers du procès d’une durée de 4 jours (seulement), quelques entretiens avec des voisins et autres « non-acteurs » de cette histoire sordide (et sans jamais avoir rencontré Fritzl himself), Jauffret nous peint un fait divers révélateur d’une réalité sociale tout en étant d’une singularité exceptionnelle.
Toutefois il fait précéder son livre de l’avertissement suivant :
“Ce livre est une oeuvre de fiction. Les propos, intentions, sentiments ou caractères prêtés aux personnages relèvent de l’imaginaire de l’auteur. Ils ne reflètent en aucune façons ceux de personnes existantes. Ils sont utilisés de manière purement fictionnelle, et ne sauraient être considérés comme étant vrais. Ni eux-mêmes ni les fait évoqués ne sauraient donc être ramenés à des individus ou à des événements existant ou ayant existé (…).”
Du coup, souvent un malaise – une interrogation face aux reflexions couchées sur le papier et d’une logique et cohérence diaboliques. Qu’est-ce qui est « vraie », qu’est-ce qui sort de l’imaginaire de l’auteur? Comment aurai-je réagi? Les quelques extraits de procès verbaux sont d’une telle cruauté que tout le reste paraît parfaitement logique et crédible…un vrai enfer.
Viols, humiliation, privations, angoisses….et toutefois aussi – étonnant – des moments de bonheur, joies et amour (maternel surtout). Tout n’est donc pas glauque ou dégoutant dans ce roman. Pourtant combien de fois je me suis écrié scandalisé et dégloutinant à la lecture d’un fait, d’une action, d’une pensée (et pourtant jamais une description clinique, exacte, toujours voile discret de suggestion, pas de voyeurisme ou de recherche de sensationnalisme…) ….c’est que le style du roman est d’une fluidité à tomber dans une cave (pardon!), par terre (genre Carrère) avec des incursions métaphoriques qui tempèrent (une figure de style que Carrère n’use que rarement )
« Il a soulevé le couvercle du piano, il s’est assis sur le tabouret. Il n’avait jamais su jouer, mais quand il était triste il lui arrivait de frapper le clavier pour briser le silence qui tombait sur la banquise de ses illusions perdues. » (p. 104 – description de l’avocat de Fritzl)
« Il n’avait jamais été tendre ni doux, mais sa rage amplifiait à mesure que les années passaient sur elle lourdes et molles comme l’édedron de cellulite qu’il lui reprochait de laisser pousser sur cette peau de bébé supposée demeurer intacte sous le poids du temps comme le marbre blanc d’un parvis sous la neige tombée la nuit » (p.212)
« Une journée qui casse laborieusement sa coquille, drôle de poussin dont on ne sait s’il boitera ou vous emportera sans crier gare vers le paradis. » (p. 302).
Le prochain livre de la liste aura du mal à s’imposer en moi. Un début qui vous mets k.o., mais avec une droite magnifique!
Ping : Papa | Coquecigrues et ima-nu-ages