Finies les 555 pages de ce que Philippe Forest appelle « cette pauvre petite chose de papier usé qu’on nomme un roman« …et je vais devoir faire une petite pause d’une journée (au moins) dans notre marathon de lecture, me sentant quasi impuissant de lire un autre roman là, toute de suite, après avoir fermé le livre d’une vie…cet hommage au père, au siècle (« d’autres vie que la mienne » pourrait-on dire de cette relecture faite par le fils) d’une aisance sidérante.
Forest peut débuter son paragraphe par une petite anecdote de la vie de son père pour passer, ni vu ni connu, à des faits historiques très pointus et/ou bifurquer vers des excursions sur l’aéronautique pour finir par une réflexion quasi-théorique sur la difficulté d’écrire…de vivre, de vieillir… (il faut savoir que le premier livre de P. Forest traitait de la mort de sa fille (« L’enfant éternel » – je n’avais pas lu à l’époque)
« ….arrivé à un point que tous les hommes connaissent un peu plus tôt ou un peu plus tard, selon les circonstances variables de leur existence, et qui se situe juste après le moment du milieu de la vie. Lorsque l’on réalise que ce moment est maintenant passé sans qu’on s’en soit aperçu, n’ayant même pas pu en profiter fugitivement quand il avait lieu, jouissant de se sentir, ne serait-ce qu’un instant, installé au sommet de son existence, en plein possession de ses moyens physiques et intellectuels, contemplant au-dessous de soi le panorama surplombé du temps. Puisqu’une telle idée ne vient jamais à l’esprit qu’une fois qu’il est trop tard et que, le moment passé, l’on prend conscience que le sommet et derrière soi, qu’il n’existe d’ailleurs pas sinon, justement, dans l’image que l’on se fait après coup et que l’on est déjà en train de glisser sur l’autre pente, celle qui conduit irrésistiblement vers le nulle part où tout finit…. » (p.415)
Il y’en a encore d’autres passages de cet acabit, l’épilogue aussi, très fort, et j’en ai déjà émaillé ces pages blanches virtuelles ici-même de ses/ces mots, réflexions qui résonnent….et vous bercent.
Dans notre club de lecture, certains disent que ce livre est trop difficile à lire avec ses phrases d’une page parfois, logorrhée, déluge de mots, à la recherche du mot juste, jungle dans lequel on se perd….. qu’il faudra du courage….d’autres ont dû « adapter leur mode de lecture, non pas de lignes en lignes, mais plus globale, prenant le paragraphe dans son entier pour être happé par ce flux… » (clin d’oeil à G.)….pour continuer. Il faut donc mériter le livre?!
Moi je n’ai pas senti cela – peut-être une petite « fatigue » entre les pages 450 et 500 …mais elle a été chassé comme le vent ou le soleil chassent les nuages par l’épilogue…
C’est le seul mot que je lui ai jamais entendu : la vieillesse, un naufrage. Non pas, avec l’âge, le corps qui s’use, l’envie d’exister qui s’étiole, la fatigue retrouvée au lever du lit, l’attente morne du soir et du sommeil, l’incessante lassitude devant le monde, l’énervement face à la stupide et insistante immobilité des choses vaines de la vie. Pas même le sentiment d’avoir laissé se perdre sa chance, d’avoir raté sa vie, de n’avoir pas été à la hauteur de ce que l’on s’était autrefois imaginé de soi. Simplement : la certitude tardive que tout s’achève toujours dans la plus complète indécision, et que l’on termine égaré, comme dans un paysage de brume et de neige où le hasard d’un obstacle insignifiant vous fait chuter soudain n’importe où, à l’endroit indifférent qu’une panoplie de décombres viendra marquer un moment pour la curiosité des passants.
Ou alors : autre chose. Seulement le temps qui s’épaissit soudain et qui acquiert subitement sa vraie consistance au sein de laquelle vient se loger toute la somme des histoires passées avec le tour étrange qu’elles ont pris et qui vous interdit d’y croire pour de bon. On ne se rappelle plus rien et l’on se sent tout seul. Alors, la longue parole impersonnelle du monde reprend, qui raconte votre vie avec toutes les autres, et qui les verse au compte des mêmes fables dont reste encore un instant la rumeur de légende retentissant pour rien.
[Texte fantastiquement en phase avec une traduction en chantier: « Lutter contre la discrimination des seniors à l’embauche. Proposer aux collaborateurs de plus de 45 ans (sic!) la possibilité de bénéficier d’un entretien de deuxième partie de carrière et assurer la tenue effective des entretiens sollicités. Déterminer et mettre en place une politique de formation destinée aux collaborateurs de plus de 50 ans.]
Encore deux livres de la sélection à lire. Toutefois, j’ai comme un pressentiment que mon choix est arrêté sur deux des livres déjà lus et évoqués ici-même.
De longues phrases? Ah d’ordinaire j’aime beaucoup m’y perdre (Marcel, reviens!^_^)
Ce roman est à la bibli mais ne m’a pas encore assez attirée, il faut dire que j’ai un peu de mal avec la littérature française actuelle. Au début je croyais que tu étais sélectionné pour le prix du livre Inter mais j’ai compris le principe du shadow cabinet (excellente idée, d’ailleurs). j’ai postulé 3 fois (en vain) pour y participer, mais quand je vois les romans à lire, je sens que ce sera terminé!
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Donc bienvenue au club….et dans mon cas c’est pareil, la lecture de la littérature frç. actuelle correspond à 25% de mes lectures….quelle chance de pouvoir lire en allemand et en anglais aussi….ça ouvre des portes vers d’autres mondes….
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Vu et repéré mais pas encore emprunté. La bibliothécaire m’en a dit le plus grand bien. Pour la littérature française du moment, je ne suis pas sûr qu’elle soit moins bonne qu’auparavant, mais elle est surtout noyée désormais dans le flot de livres étrangers qui arrivent via des petits éditeurs ou des éditeurs spécialisés dans la littérature étrangère. en cherchant bien, on trouve de vrais beaux textes, mais pour cela, je préfère m’éloigner des grandes maisons d’édition (sauf en ce moment pour le Prix l’Express).
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