Une lecture ovni étrange qui ne laisse pas indemne et continue à trotter dans la tête. Les 211 pages de Olivia Rosenthal se lisent facilement, dans mon cas hypnotiquement (ou parfois comme une litanie incantatoire). Pourtant, sa fiction (racontée à la 2e personne du pluriel : on vous a dit que…..vous n’aimez pas…vous êtes imprégnée…) n’est pas d’un abord simple. Dès le titre et la dédicace du livre « à Phu Si qui ne s’est pas pendu dans sa chambre » on est interpellé, taraudé par des questionnements.
Le livre tisse un patchwork de divers éléments narratifs et/ou littéraires. Une « histoire d’émancipation d’une femme racontée à partir de son enfance dominée (domptée) par sa mère en passant par l’adolescence « domestiquée » et fragile, épousailles …. », extraits de monologues (réponses données dans des interviews?) dompteurs d’animaux (zoo, cirque), laborantins (essais scineitifiques sur des animaux), agriculteurs, bouchers – traitant du rapport des humains avec les animaux – entrelardé parfois par des textes de normes, législatives, juridiques traitants également des animaux….et des descriptions de ou allusions à des films (King-Kong, Derzou Ouzala, L’homme blessé (Chéreau), Rosemary’s baby (Polanski), le mythique La Feline (J. Tourneur)… ou l’excellent Lumière silencieuse – Stellet Licht (le film de C. Reygadas sur les contradiction entre la loi de Dieu et les élans amoureux….parmi les mennonites du Nord du Mexique.. voir aussi mon « entrée » du 7 décembre 2007 ici même.https://lorenztradfin.wordpress.com/2007/12/09/stellet-licht-lumiere-silencieuse/)
Dit comme ça cela pourrait rebuter un lecteur, mais de fait la lecture, après un petit moment d’adaptation pour trouver le « rythme du patchwork », devient jouissif et terrible (genre rire jaune, effrayé, nerveux). Tout se croise, se répond, le côté décalé devient grave, parfois poétique, humoristique, répétitif (incantatoire), tout se tient.
La philosophie « féministe » sous-jacente au récit (dont la structure rappelle finalement la littérature engagée des années 70) est pour moi celui d’une E. Jelinek – la somptueuse construction des phrases de l’autrichienne en moins (quand-même) – mais j’ai souvent pensé à « la » Jelinek dans la mesure ou de simples mots, utilisés couramment dans la vie quotidienne changent de couleurs, de signification, de teneur, une fois utilisés dans des contextes différents. Et ceci devient passionnant…..et j’en oublie dans la complexité qui se cache derrière l’animalité dans l’humain.
De petits « aphorismes ponctuent d’une logique implacable les fins de certains paragraphes. Avec des petites variantes, inversions etc….genre (ces pharses de fin de paragraphes sont répartis sur 10 pages) – et vers la fin on ne rit plus:
« Le loup est l’ennemi du loup……L’homme n’est pas l’ennemi du loup…..Pour le loup, l’homme est un homme. …Pour l’homme le loup est un loup….Pour le loup, l’homme est un autre loup……L’homme est un homme pour l’homme. …Pour l’homme, le loup n’est plus un loup…..Le loup est un homme pour l’homme…..L’homme est un loup pour l’homme… »
PS (un demi-mois après: ….lors de la lecture de « Savages » de Don Winslow un lointain écho au parallèle du monde animal/zoologique et de la cruaté humaine:
« Comme Lado aime beaucoup Discovery Channel et Animal Planet, il a appris que les mamans léopard et jaguar devaient montrer comment chasser à leurs petits car ces derniers ne savaient pas le faire d’instinct. Donc ce que font les mamans félins, c’est qu’elles blessent un animal mais ne l’achèvent pas. Elles l’apportent à leur progéniture qui apprend ainsi la manière de tuer.
C’est la nature.
Il va donc débourrer son petit jeunot – le « mouiller » dans le jargon. Le cartel a besoin de soldats ici. C’était une de ses missions quand il a obtenu sa carte verte et débarqué huit ans auparavant. Recruter. Former……… (page 39)
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